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Page:Pirenne - Histoire de l’Europe, des invasions au XVIe siècle.djvu/71

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seur de Saint Pierre se croira obligé d’intervenir dans le gouvernement civil pour le redresser ou pour le diriger ?

En attendant que l’avenir voie se poser et se débattre ces questions redoutables, la restauration de l’Empire tourne évidemment au commun profit de la société religieuse et de la société civile. Grâce au zèle et à la vigilance de l’empereur, l’Église jouit d’une sérénité, d’une autorité, d’une influence et d’un prestige qu’elle n’avait plus connus, depuis Constantin. Charles étend sa sollicitude aux besoins matériels du clergé, à son état moral et à son apostolat. Il comble de donations les évêchés et les monastères et les place sous la protection d’« avoués » nommés par lui ; il rend la dîme obligatoire dans toute l’étendue de l’Empire. Il prend soin de ne préposer aux diocèses que des hommes aussi recommandables par la pureté de leurs mœurs que par leur dévouement ; il seconde sur les frontières l’évangélisation des Slaves, surtout il excite les évêques à améliorer l’instruction des clercs et, fidèlement secondé par Alcuin, impose aux écoles cathédrales et monastiques le souci des règles exactes du chant et cette réforme de l’écriture, d’où est sortie la minuscule caroline, si pure et si claire de formes que les imprimeurs italiens de la Renaissance lui ont emprunté les caractères de la typographie moderne. L’étude des Livres saints comme celle des lettres antiques sont remises en honneur, et dans les écoles se forme une génération de clercs qui professe pour la barbarie du latin mérovingien le même mépris que les humanistes devaient témoigner, sept siècles plus tard, au jargon scolastique des magistri nostri. Il en est qui vont jusqu’à s’initier aux rythmes les plus variés de la prosodie, si bien que les érudits de nos jours ont pu constituer un recueil des poètes du ixe siècle qui ne manque, par endroits, ni d’agrément ni de saveur. Mais ce n’étaient là que les délassements de travailleurs dont l’inspiration et les tendances sont essentiellement religieuses. La soi-disant renaissance carolingienne est aux antipodes de la Renaissance proprement dite. Entre elles il n’y a rien de commun, si ce n’est un renouveau d’activité intellectuelle. Celle-ci, purement laïque, retourne à la pensée antique pour s’en pénétrer. Celle-là, exclusivement ecclésiastique et chrétienne ne voit dans les anciens que des modèles de style. Pour elle, l’étude ne se justifie que par ses fins religieuses. Les trois doigts qui tiennent la plume sont, dit-on, le symbole des trois personnes de la trinité divine. Comme les Jésuites du xvie siècle, les clercs carolingiens n’écrivent qu’à la gloire de