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Page:Pirenne - Histoire de l’Europe, des invasions au XVIe siècle.djvu/72

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Dieu et, à condition de ne pas forcer le rapprochement, on peut trouver que la position qu’ils prirent à l’égard de l’Antiquité est assez analogue à celle que devait adopter la célèbre compagnie.

Charles n’a pas uniquement favorisé les études par sollicitude pour l’Église ; le souci du gouvernement a contribué aussi aux mesures qu’il a prises dans leur intérêt. Depuis que l’instruction laïque avait disparu, l’État devait forcément recruter parmi les clercs, sous peine de retomber dans la barbarie, l’élite de son personnel. Déjà sous Pépin le Bref, la chancellerie ne se compose plus que d’ecclésiastiques et l’on peut croire que Charles, en ordonnant de perfectionner l’enseignement de la grammaire et de réformer l’écriture, a eu tout autant en vue la correction linguistique et calligraphique des diplômes expédiés en son nom ou des capitulaires promulgués par lui, que celle des missels et des antiphonaires. Mais il a été plus loin et a visé plus haut. On surprend chez lui, et très visiblement, l’idée de faire pénétrer l’instruction parmi les fonctionnaires laïques en les mettant à l’école de l’Église ou, pour mieux dire, en les faisant élever dans les écoles de l’Église. De même que les Mérovingiens avaient cherché à calquer leur administration sur l’administration romaine, il a voulu imiter, dans la mesure du possible, pour la formation des agents de l’État, les méthodes employées par l’Église pour la formation du clergé. Son idéal a été, sans nul doute, d’organiser l’Empire sur le modèle de l’Église, c’est-à-dire de le pourvoir d’un personnel d’hommes instruits, dressés de la même façon, se servant entre eux et avec le souverain de la langue latine qui, de l’Elbe aux Pyrénées, servirait de langue administrative comme elle était déjà langue religieuse. Il était impossible que son génie pratique ne se rendît pas compte de l’impossibilité de maintenir l’unité d’administration de son immense empire où se parlaient tant de dialectes, au moyen de fonctionnaires illettrés et, par cela même, ne connaissant chacun que la langue de sa province. L’inconvénient n’eût pas existé dans un État national où la langue vulgaire eût pu devenir, comme elle l’était dans les petits royaumes anglo-saxons, la langue de l’État. Mais dans cette bigarrure de peuples qu’était l’Empire, l’organisation politique devait revêtir le même caractère universel que l’organisation religieuse, et se superposer également à tous les sujets, de même que celle-ci embrassait également tous les croyants. L’alliance intime de l’Église et de l’État achevait, au surplus, de recommander le latin comme langue de l’administration