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s’assurer, par des promesses, le concours d’une partie de l’aristocratie. Deux partis ou plutôt deux factions se formèrent ainsi dans l’Empire : l’une prenant comme programme le partage de la succession entre tous les fils de l’empereur, l’autre restant fidèle à l’idée de l’unité[1]. La première l’emporta tout d’abord : Lothaire, privé de son titre de régent, s’en fut en Italie soumettre sa querelle au pape, cependant que Louis, obéissant à Judith, procédait à une nouvelle répartition de la monarchie entre ses quatre fils. Les avantages qu’il y fit à Charles le brouillèrent bientôt avec Louis (le Germanique) et Pépin, qui se rapprochèrent de Lothaire. En 833, celui-ci, à la tête d’une armée, franchissait les Alpes, accompagné du pape Grégoire IV, rejoignait ses frères et marchait avec eux contre leur père. La rencontre eut lieu dans la plaine du Rhin, près de Colmar. Le vainqueur de la journée fut en apparence Lothaire, en réalité le pape. Au nom de la paix de l’Église, dont l’Empire n’était que la forme temporelle, il revendiqua le droit d’intervenir, rétablit Lothaire dans sa dignité primitive, et imposa au vieil empereur, coupable d’avoir troublé le repos de la chrétienté, une pénitence humiliante. Avec une impitoyable logique se manifestait la première conséquence de la conjonctionintime du pape et de l’empereur : celui-ci fléchissant, celui-là se haussait et l’alliance primitive des deux pouvoirs faisait place à la subordination du second au premier.

Mais ce n’était pas là ce qu’avaient voulu Louis (le Germanique) et Pépin. Ils reprirent les armes et la lutte continua avec une obstination confuse entre les ambitions rivales et les intérêts personnels. Ni la mort de Pépin (838), ni celle de l’empereur (840) ne l’interrompirent. Elle aboutit finalement en 843, grâce à l’épuisement de tous, au Traité de Verdun.

Ce fut un compromis, mais un compromis qui amoindrissait singulièrement la portée de l’idée impériale. La monarchie était divisée tout entière en trois parts égales. Celle du milieu, coupant en travers l’Europe, et s’étendant, sans tenir compte des frontières naturelles ni de la nature des peuples, de la Frise jusqu’aux États du pape, était attribuée à Lothaire. Il conservait en outre le titre d’empereur et exerçait sur ses deux frères Louis et Charles, qui

  1. Ce sont là les étiquettes des partis. Au fond les ecclésiastiques seuls ont pu avoir un programme ; les laïcs se groupèrent suivant leur sympathies et leurs intérêts.