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Page:Pirenne - Histoire de l’Europe, des invasions au XVIe siècle.djvu/94

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régnaient respectivement sur les régions de l’est et de l’ouest, une primauté mal définie. Ainsi, l’identité qui avait existé sous Charlemagne et Louis le Pieux entre l’Empire et l’État franc disparaissait. L’unité impériale ne subsistait plus qu’en théorie ; son universalité cessait de correspondre à la réalité des choses puisque l’empereur ne gouvernait plus, en fait, que le tiers de la chrétienté occidentale. Ce fut bien pis encore après la mort de Lothaire (855). Il laissait trois fils qui, à leur tour, se partagèrent ses pays. L’aîné, Louis II, prit pour son lot l’Italie et le titre impérial. Sous Lothaire, l’empereur avait été au moins encore aussi puissant que les deux rois ses frères. Sous Louis II, il n’était plus qu’un souverain secondaire, infiniment moins influent que ses oncles Louis le Germanique et Charles le Chauve. Le contraste allait s’agrandissant sans cesse entre ce qu’aurait dû être l’empereur et ce qu’il était. On peut dire que, s’il y avait encore un empereur, il n’y avait plus d’Empire.

À ce déclin continu du pouvoir impérial correspond la montée corrélative et simultanée du pouvoir du pape. L’équilibre des deux forces préposées à la chrétienté se rompant, l’une d’elles doit nécessairement profiter de ce que l’autre perd. Déjà les circonstances ont amené Grégoire IV à juger entre Louis le Pieux et ses fils. Sous Louis II, Nicolas Ier (858-867) revendique et impose la supériorité du pouvoir pontifical sur le pouvoir impérial. Avec lui cesse la politique d’alliance qui a débuté sous Charlemagne. Le chef de l’Église, en vertu de l’origine divine de son pouvoir, se considère désormais comme l’arbitre et le directeur des dépositaires de la puissance temporelle, rois ou empereur. Relevant de lui comme chrétiens, passibles de sa juridiction morale comme pécheurs, il importe qu’ils soient soumis à une sanction qui garantisse leur obéissance. Dès lors, le pape peut et doit, s’il le juge nécessaire au service de Dieu et de l’Église, intervenir dans les affaires des princes, et Nicolas s’engage sans hésiter dans cette voie que suivront après lui les Grégoire VII et les Alexandre II et qui conduira Innocent III et Innocent IV à cette hégémonie théocratique à laquelle mettra fin la catastrophe de Boniface VIII. Il n’eut pas l’occasion au surplus d’intervenir dans la grande politique. L’excommunication qu’il fulmina contre le roi de Lotharingie, Lothaire II, à l’occasion de son divorce, et qui aboutit à l’humiliation du coupable, ne fut qu’une manifestation morale mais dont le retentissement se répandit à travers toute l’Europe.

Les « fausses décrétales » qui se répandirent au milieu du ixe siè-