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XIV
INTRODUCTION

sur le courage, d’Euthyphron sur le pie et l’impie. Le ton de ce débat entre Polémarque et Socrate demeure toujours très courtois. Simonide s’est prononcé en poète, en homme savant et divin, mais qui parle par énigmes. Que veut dire en fait sa définition ? Qu’il faut rendre à chacun ce qui lui convient, puisqu’on ne doit, d’après Simonide, à ses amis que du bien et, d’après Polémarque, à ses ennemis que du mal ? Or, cela, le médecin le fait en cas de maladie, le pilote en cas de danger sur mer ; en quel cas le fera l’homme juste ? En cas de guerre. Sera-t-il donc inutile en temps de paix ? Non, il rendra service en toute tractation d’argent. Mais non pas pour employer l’argent, car on demandera plutôt conseil et aide au maquignon, au pilote, à l’architecte. Si ce n’est que pour le conserver en dépôt et le laisser oisif, la justice ne sera donc utile que pour ce dont on n’use pas et n’aura ainsi pas grande valeur. D’autre part, l’homme le plus habile à se garer des coups n’est-il pas celui qui sait le mieux les donner, et le plus habile à nous protéger contre la maladie celui qui saura nous l’inoculer à l’insu de tous, et le plus habile à garder un camp celui qui saura le mieux dérober les desseins de l’ennemi ? Le juste, habile à garder l’argent, sera donc tout aussi adroit à le voler : alors la justice sera l’art de voler pour servir ses amis et nuire à ses ennemis. Ainsi Socrate, dans Hippias Mineur, acculait Hippias à cette conclusion paradoxale que l’homme bon est celui qui commet volontairement l’injustice (334 b).

Mais qu’est-ce qu’un ami ? Nous nous trompons là-dessus si souvent, prenant pour amis des méchants et traitant les bons comme des ennemis ! Si nous ne voulons pas qu’il soit juste de faire du mal à ceux qui n’en font pas, appelons amis ceux qui paraissent et sont bons, et disons : la justice, c’est de faire du bien à son ami bon, du mal à son ennemi méchant. L’homme juste fera donc du mal à quelqu’un ? Mais les chiens ou les chevaux que l’on bat en valent-ils mieux ? Et l’homme à qui l’on fait du mal s’en améliore-t-il en sa vertu d’homme, qui est la justice ? Comment la justice aurait-elle pour effet de rendre injuste et méchant le sujet auquel elle s’applique ? Disons que le juste, qui est bon, ne peut faire de mal à personne, et n’acceptons pas que Simonide ni aucun autre sage soit l’auteur de cette maxime : « Faire du bien aux amis et du mal aux ennemis ». Elle ne peut être