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Page:Platon - Œuvres complètes, Les Belles Lettres, tome XIII, 2.djvu/266

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CLITOPHON

pour eux se voir réduits en servitude et confier la direction de leur vie à des gens compétents dans l’art de la politique, identique à l’art judiciaire et à la justice. Toutes ces exhortations sont parfaites ; elles peuvent réveiller des gens assoupis. Mais suffit-il d’exhorter ? Est-ce là le dernier mot de la pédagogie morale ? Clitophon s’est adressé à des disciples de Socrate, et en fin de compte à Socrate lui-même, pour apprendre quelles conséquences pratiques il fallait tirer de ces beaux discours.

2. À quel art, à quelle science faut-il donc recourir pour cultiver en soi la vertu ? — À la justice, fut-il répondu. — Oui, mais la justice en quoi consiste-t-elle, quelle est son œuvre ? Ici, les réponses furent toutes différentes. L’un affirme que la justice réalise « ce qui est profitable » ; un autre, « ce qui convient » ; un troisième, « ce qui est utile » ; un quatrième, « ce qui est avantageux ». Assertions vagues, générales, que l’on peut répéter pour chacun des arts, pour chacun des métiers. Aucune d’elles ne fait connaître ce qui caractérise cette vertu. Un esprit plus subtil la définit : le moyen d’établir l’amitié dans les cités, c’est-à-dire de provoquer l’union. Et par union, il comprenait une véritable science, non un simple accord d’opinions. L’examen de la formule révèle encore ici le même défaut que précédemment. Car, en somme, tous les arts, toutes les sciences cherchent à produire l’union des esprits, l’accord des pensées. Alors on demandera de préciser : est-ce accord d’opinions ou de pensées scientifiques ? On voudrait connaître le caractère propre de cette union dont la justice est le principe. — Enfin, Socrate lui-même donna son avis, et, pour lui, la justice consiste « à nuire à ses ennemis, à favoriser ses amis ». Mais la discussion ne tarda pas à montrer que l’homme juste ne devait nuire à personne. Aussi Clitophon, découragé par son enquête, s’en est allé avec la persuasion que Socrate est un fort habile exhortateur, mais un piètre éducateur. À moins que le philosophe n’ait voulu lui cacher son savoir. Une dernière fois, Clitophon le supplie de lui révéler ses connaissances, sans quoi il se verra forcé de se mettre à l’école de Thrasymaque. Il emportera l’impression que Socrate est très précieux pour qui a besoin d’être stimulé, mais qu’il risque ensuite d’être même un obstacle quand il s’agit de parvenir au terme de la vertu et d’y trouver le bonheur.