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Page:Platon - Œuvres complètes, Les Belles Lettres, tome XIII, 2.djvu/277

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NOTICE

côté, il ne peut y avoir accord sur les choses que les uns savent et que les autres ignorent. Puisqu’on agit selon la justice, quand chacun s’occupe de son affaire, la conséquence serait : là où il y a justice, il n’y a pas amitié entre citoyens. Et Socrate de conclure : « Qu’est-ce donc en somme que cette amitié ou cet accord dont tu parles et qui doivent être l’objet de notre science et de nos bons jugements, si nous voulons être des hommes de valeur ? Je n’arrive plus à comprendre ni ce qu’ils sont, ni chez qui on les trouve. Tantôt, d’après tes dires, elles m’apparaissent comme présentes, tantôt comme absentes, chez les mêmes sujets ». On voit comment dans ce dialogue, ainsi que dans Clitophon, la conception de la justice-amitié est violemment ébranlée, ici par Socrate, là par le censeur du philosophe, à cause de son imprécision et de son manque de profondeur. — Est-ce pourtant le dernier mot de Platon ? Non, car, même dans l’Alcibiade, la définition n’est pas purement et simplement rejetée. La fin du dialogue (à partir de 127 e), insinue comment il faut la compléter, en quel sens il faut la comprendre. La notion d’ὁμόνοια, œuvre propre de la justice, s’éclaire par ses rapports avec la notion voisine de σωφροσύνη, ou de connaissance de soi-même, c’est-à-dire de son âme. Seule cette connaissance nous permet de découvrir ce qu’il y a en nous de bon ou de mauvais ; elle est le fondement de la vertu d’abord, puis du vrai et juste commandement des cités. Voilà ce qu’Alcibiade, tout comme le Socrate de Clitophon, n’avait pas même entrevu.

Ces idées sont aussi celles de la République. Ici, Platon a développé sa doctrine de la justice-amitié de façon qu’elle n’offrît aucune prise aux objections inquiètes d’esprits subtils. Énoncée au Ier livre, elle est surtout approfondie au IVe. Les explications données à cet endroit s’efforcent de concilier l’antinomie d’Alcibiade : la justice est une ὁμόνοια ; la justice consiste à ce que chacun soit à sa place et remplisse exactement la fonction qui lui convient[1].

Ainsi les railleries de Clitophon n’atteignent pas le Socrate platonicien. Mais peut-être, la critique d’une pareille concep-

  1. République, IV, 433 b et suiv. — Cf. J. Souilhé, La Notion platonicienne d’Intermédiaire dans la philosophie des Dialogues, Paris, Alcan, 1919, p. 123 et suiv.