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Page:Plotin - Ennéades, t. III.djvu/194

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LIVRE NEUVIÈME.


monde intelligible, et s’y élèvent en prenant leur vol au-dessus des nuages et des ténèbres d’ici-bas ; alors, pleins de mépris pour les choses terrestres, ils restent là-haut, et ils habitent leur véritable patrie avec la joie ineffable de l’homme qui, après de longs voyages, est enfin rendu à ses foyers légitimes[1].

II. Quelle est cette région supérieure ? Que faut-il être pour y parvenir ? Il faut être naturellement porté à l’amour, être né véritablement philosophe[2]. En présence du beau, l’amant éprouve quelque chose de semblable au mal d’enfant ; mais, loin de s’arrêter à la beauté du corps, il s’élève à celle qu’offrent dans l’âme la vertu, la science, les devoirs et les lois ; puis, il remonte à la cause de leur beauté, et il ne s’arrête dans cette marche ascendante que lorsqu’il est arrivé au principe qui occupe le premier rang, à ce qui est beau par soi-même[3]. C’est alors seulement qu’il cesse d’être aiguillonné par ce tourment que nous comparons au mal d’enfant.

Mais comment monte-t-il là-haut ? Comment en a-t-il le pouvoir ? Comment apprend-il à aimer ? Le voici. La beauté qu’on voit dans les corps est adventice : elle consiste dans les formes μορφαὶ (morphai)) dont les corps sont la matière[4]. Aussi la substance change-t-elle et la voit-on de belle devenir laide. C’est que le corps n’a qu’une beauté d’emprunt. Qui la lui a communiquée ? D’un côté, la présence de la beauté ; de l’autre, l’acte de l’âme qui a façonné le corps et lui a donné la forme qu’il possède. Quoi ? L’âme est-elle ou non par elle-même le Beau absolu ? Non, puisque telle âme est

  1. Ce remarquable morceau est cité tout entier par Nicéphore Grégoras, Scholies sur le Traité de Synésius sur les Rêves, éd. Pétau, p. 394. Il est également cité et commenté par le P. Thomassin, Dogmata theologica, t. I, p. 167.
  2. Ce passage doit être rapproché de l’Enn. I, liv. III, § 1 ; t. I, p. 64.
  3. Cette phrase est le résumé du livre VI de l’Ennéade I.
  4. Voy. Enn. I, liv. VI, § 2 ; t. I, p. 101-102.