Aller au contenu

Page:Plotin - Ennéades, t. III.djvu/561

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
500
SIXIÈME ENNÉADE.

entraînement le conduisît-il au bien. On peut encore demander si l’intelligence, en faisant ce qu’il est dans sa nature de faire, et d’une manière conforme à sa nature, est libre et indépendante, puisqu’elle ne peut pas ne pas le faire ; ensuite, si l’on a le droit d’attribuer le libre arbitre à ce qui ne produit pas d’action ; enfin, si même ce qui produit une action n’est pas soumis à une nécessité extérieure par cela seul que toute action a un but. Comment en effet accorder la liberté (τὸ ἐλεύθερον (to eleutheron)) à l’être qui obéit à sa nature ? — Mais [répondrons-nous], comment peut-on dire de cet être qu’il obéit s’il n’est pas contraint de suivre quelque chose d’extérieur ? Comment l’être qui se porte au bien serait-il contraint si son désir est volontaire, s’il se porte au bien en sachant que c’est le bien ? Ce n’est qu’involontairement qu’un être s’éloigne du bien, ce n’est que par contrainte qu’il se porte vers ce qui n’est pas son bien ; c’est être dans la servitude que de ne pouvoir aller à son bien, et d’en être écarté par une puissance supérieure à laquelle on obéit. Si la servitude nous déplaît, ce n’est pas parce qu’elle nous ôte la liberté d’aller au mal, mais parce qu’elle nous prive de celle d’aller à notre bien, forcés que nous sommes de travailler au bien d’un autre. Quand on parle d’obéir à sa nature, on distingue [dans l’être qui obéit à sa nature] deux principes, celui qui commande, celui qui obéit[1]. Mais quand un principe a une

  1. « Il faut que l’homme s’immortalise autant que possible ; il faut qu’il fasse tout pour vivre selon le principe le plus noble de tous ceux qui le composent. Si ce principe n’est rien par la place étroite qu’il occupe, il n’en est pas moins infiniment supérieur à tout le reste en puissance et en dignité. C’est lui qui, à mon sens, constitue chacun de nous et en fait un individu, puisqu’il en est la partie dominante et supérieure ; et ce serait une absurdité à l’homme de ne pas adopter sa propre vie et d’aller adopter en quelque sorte celle d’un autre Or, pour l’homme, ce qui lui est le plus propre, c’est la vie de l’entendement, puisque l’entendement est vraiment tout l’homme. » (Aristote, Morale à Nicomaque, liv. X, chap. 7 ; trad. de M. Barthélemy Saint-Hilaire, t. II, p. 457.)