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Page:Plotin - Ennéades, t. III.djvu/567

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SIXIÈME ENNÉADE.

[Maintenant, considérons la liberté dans le Bien[1].]

La nature du Bien est le désirable même (αὐτὸ τὸ ἐφετόν (auto to epheton)), c’est par lui que l’âme et l’intelligence possèdent la liberté quand elles peuvent, l'une, atteindre le Bien sans obstacle, l’autre, le posséder. Or, puisque le Bien est le maître de toutes les choses précieuses qui sont placées au-dessous de lui, qu’il occupe le premier rang, qu’il est le principe auquel tous les êtres veulent s’élever, auquel tous sont suspendus, dont tous tiennent leur puissance et leur liberté, comment lui attribuer une liberté semblable à la mienne et à la tienne, quand on peut à peine attribuer une telle liberté à l’intelligence sans lui faire violence ?

Ici quelque téméraire viendra peut-être nous dire, tirant ses arguments d’une autre doctrine : Si le Bien est ce qu’il est, c’est par hasard ; il n’est point maître de ce qu’il est parce qu’il n’est point par lui-même ce qu’il est ; par conséquent, il n’a ni liberté ni indépendance, parce qu’il agit ou n’agit pas selon que la nécessité le force d’agir ou de ne pas agir[2]. Assertion dénuée de preuves et même contradictoire, qui détruit toute conception de volonté, de liberté, d’indépendance, qui les réduit à n’être plus que de vaine mots, de trompeuses chimères ! Celui qui avance une pareille opinion est forcé de soutenir non-seulement qu’il n’est au pouvoir de personne de faire ou de ne pas faire une chose, mais encore que le mot de liberté n’éveille dans son esprit aucune conception, n’a pour lui aucune espèce de sens. Si au contraire il attache un sens à ce mot, il sera bientôt obligé d’avouer que la conception de liberté a véritablement avec la réalité une conformité qu’il niait d’abord. La conception d’une chose en effet n’en change et n’en augmente en rien l’essence : elle ne peut rien faire par elle-

  1. Ici commence la seconde partie de ce livre : De la Volonté et de la Liberté de l’Un.
  2. C’était la doctrine de Straton le péripatéticien, des Épicuriens et des autres philosophes qui rapportaient tout au hasard.