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Page:Plotin - Ennéades, t. III.djvu/568

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LIVRE HUITIÈME.

-même ni rien amener à l’existence ; elle se borne à nous montrer quel être obéit à d’autres, quel être possède le libre arbitre, quel être ne dépend d’aucun, mais est maître de son action, privilége propre aux êtres éternels en tant qu’ils sont éternels, et aux êtres qui atteignent le bien sans obstacle [comme l’âme] ou le possèdent [comme l’intelligence]. Il est donc absurde de dire que le Bien, qui est au-dessus d’eux, cherche quelque autre bien au delà de lui-même.

Il n’est pas plus exact de prétendre que le Bien existe par hasard. Ce n’est que dans les choses intérieures et multiples qu’on trouve le hasard. Nous soutiendrons au contraire que le Premier n’existe pas par hasard, qu’on ne peut dire qu’il n’est pas le maître de sa naissance, puisqu’il n’est pas né[1]. Il n’est pas moins absurde d’avancer qu’il n’est pas libre parce qu’il agit selon sa nature : car cette assertion semble impliquer qu’être libre, ce soit faire des actes contraires à sa nature. Enfin, son unicité (τὸ μοναχὸν (to monachon)) ne lui ôte pas sa liberté, parce que cette unicité ne résulte pas de ce qu’il serait empêché par un autre [d’avoir autre chose], mais de ce qu’il est ce qu’il est, de ce qu’il se plaît à lui-même, de ce qu’il ne saurait être meilleur ; sinon, il faudrait soutenir qu’en atteignant le bien on perdrait sa liberté. Si une pareille assertion est absurde, n’est-ce pas le comble de l’absurdité de refuser la liberté au Bien parce qu’il est le Bien, qu’il demeure en lui-même, et que, tous les êtres aspirant à lui, il n’aspire lui-même à rien d’autre que lui et n’a besoin absolument de rien. Comme son existence est en même temps son acte (car en lui ces deux choses ne font qu’un, puisqu’elles ne font qu’un aussi dans l’intelligence), son être

  1. Ces paroles de Plotin expliquent, comme le fait remarquer Creuzer, ce passage de Platon : « Cet ouvrier fait tout ce que nourrit dans son sein la nature, les plantes, les animaux, toutes les autres choses ; et lui-même enfin. » (République, liv. X ; trad. de M. Cousin, t. X, p. 237.)