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Page:Plotin - Ennéades, t. III.djvu/607

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SIXIÈME ENNÉADE.

qui est en quelque sorte sensible pour elle en ce sens qu’il se laisse percevoir par elle, l’Intellect, dis-je, qui domine sur l’âme et qui est son Père[1], c’est-à-dire le Monde intelligible, Intellect calme qui se meut sans sortir de sa quiétude, qui renferme tout en son sein et qui est tout, qui est à la fois multitude indistincte et multitude distincte : car les idées qu’il contient ne sont pas distinctes comme les raisons [les notions rationnelles] qui sont conçues une à une[2] ; toutefois elles ne se confondent pas : chacune d’elles apparaît comme distincte des autres, de même que dans une science toutes les notions, bien que formant un tout indivisible, ont cependant chacune leur existence à part[3]. Cette multitude des idées prise dans son ensemble constitue le Monde intelligible : celui-ci est ce qu’il y a de plus près du Premier ; son existence est invinciblement démontrée par la raison, comme la nécessité de l’existence de l’âme elle-même ; mais, quoique le Monde intelligible soit quelque chose de supérieur à l’âme, il n’est cependant pas encore le Premier, parce qu’il n’est ni un, ni simple, tandis que l’Un, le Principe de tous les êtres, est parfaitement simple.

Qu’est donc le principe supérieur à ce qu’il y a de plus élevé parmi les êtres, à l’Intelligence [à l’intellect et au Monde intelligible] ? Il faut en effet qu’il y ait un principe au-dessus de l’Intelligence ; celle-ci aspire bien à être l’Un, mais elle n’est pas l’Un, elle a seulement la forme de l’Un : car, considérée en elle-même, elle n’est pas divisée,

  1. Cette dénomination est empruntée au Timée de Platon, p. 37, éd. H. Étienne.
  2. Ficin traduit cette phrase inexactement : « Neque enim discernitur, sicut rationes in prolatione solent, sed tanquam rationes jam secundum unum quiddum excogitatæ, etc. » La pensée de Plotin est que l’âme humaine ne conçoit les idées que successivement, tandis que l’Intelligence divine les conçoit toutes simultanément.
  3. Plotin emploie souvent cette comparaison. Voy. Enn. IV, liv. IX, § 5 ; t. II, p. 501.