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Page:Plotin - Ennéades, t. III.djvu/610

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LIVRE NEUVIÈME.

On peut encore comprendre[1] qu’il est souverainement un par ce fait qu’il se suffit à lui-même (qu’il est absolu, τῷ αὐτάρϰει (tô autarkei)) : car le principe le plus parfait est nécessairement celui qui se suffit le mieux à lui-même, qui a le moins besoin d’autrui. Or toute chose qui n’est pas une, mais multiple, a besoin d’autrui : n’étant pas une, mais composée d’éléments multiples, son essence a besoin de devenir une ; mais l’Un ne saurait avoir besoin de lui-même, puisqu’il est déjà un. Bien plus, l’être qui est multiple a besoin d’autant de choses qu’il en contient en lui : car chacune des choses qui sont en lui n’existant que par son union avec les autres, et non en elle-même, se trouve avoir besoin des autres ; de sorte qu’un tel être a besoin d’autrui, soit pour les choses qui sont en lui, soit pour son ensemble. Si donc il doit y avoir quelque chose qui se suffise pleinement à soi-même, c’est assurément l’Un, qui seul n’a besoin de rien soit relativement à lui-même, soit relativement au reste. Il n’a besoin de rien ni pour être, ni pour être heureux, ni pour être édifié. D’abord, étant la cause des autres êtres, il ne leur doit pas l’existence. Ensuite, comment tiendrait-il son bonheur du dehors ? En lui, le bonheur n’est pas une chose contingente, c’est sa nature même. Enfin, n’occupant point de lieu, il n’a pas besoin d’un fondement pour être édifié dessus, comme s’il ne pouvait pas se soutenir lui-même ; tout ce qui a besoin d’être édifié est inanimé ; c’est une masse prête à tomber si elle n’a point de soutien[2]. Quant à l’Un, [bien loin qu’il ait besoin d’un soutien, ] c’est sur lui que sont édifiées toutes les autres choses, c’est lui qui en leur donnant l’existence leur a donné en même temps un lieu où elles fussent placées. Or ce qui demande à être placé dans un lieu ne se suffit pas par soi-même.

  1. Nous lisons avec Kirchhoff ἐννοηθείη (ennoêtheiê) au lieu de ἓν οὐ μὴ θείη (hen ou mê theiê).
  2. Ce passage est cité par Nicéphore Grégoras, Histoire de Constantinople, liv. XX, 1, p. 552.