Aller au contenu

Page:Plotin - Ennéades, t. III.djvu/611

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
550
SIXIÈME ENNÉADE.

Ce qui est principe n’a pas besoin de ce qui est au-dessous de lui. Le principe de toutes les choses n’a besoin d’aucune d’elles, Tout être qui ne se suffit pas par lui-même ne se suffit pas parce qu’il aspire à son principe. Si l’Un aspirait à quelque chose, il aspirerait évidemment à n’être plus un, c’est-à-dire, à s’anéantir ; mais tout ce qui aspire à quelque chose aspire évidemment au bonheur et à la conservation ; ainsi, puisqu’il n’y a pas pour l’Un de bien hors de lui, il n’y a rien qu’il puisse vouloir. Il est le Bien d’une manière transcendante (ὑπεράγαθον (huperagathon)) ; il est le Bien, non pour lui-même, mais pour les autres êtres, pour ceux qui peuvent participer de lui.

Il n’y a donc pas de pensée dans l’Un, parce qu’il ne doit pas y avoir en lui de différence ; ni de mouvement, parce que l’Un est antérieur au mouvement comme à la pensée. Que penserait-il d’ailleurs ? Se penserait-il lui-même ? Dans ce cas, avant de penser il serait ignorant et il aurait besoin de la pensée, lui qui se suffit pleinement à lui-même. N’allez pas croire d’ailleurs que, parce qu’il ne se connaît pas et qu’il ne se pense pas, il y ait pour cela ignorance en lui. L’ignorance suppose un rapport, elle consiste en ce qu’une chose n’en connaît pas une autre. Mais l’Un, étant seul, ne peut ni rien connaître ni rien ignorer : étant avec soi, il n’a pas besoin de la connaissance de soi ; il ne faut même pas lui attribuer ce qu’on appelle être avec soi (συνεῖναι (suneinai)), si l’on veut qu’il reste l’Un dans toute sa pureté ; il faut au contraire supprimer l’intelligence, la conscience, la connaissance de soi-même et des autres êtres. On ne doit pas le concevoir comme étant ce qui pense (τὸ νοοῦν (to nooun)), mais plutôt comme étant la pensée (νόησις (noêsis)). La pensée ne pense pas, mais est la cause qui fait penser un autre être[1] ; or la cause ne peut être identique à ce qui est causé. À plus forte raison, ce qui est la cause de toutes les choses exis-

  1. Par pensée Plotin entend ici évidemment la puissance intellectuelle en acte.