Aller au contenu

Page:Plotin - Ennéades, t. III.djvu/619

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
558
SIXIÈME ENNÉADE.

pour s’éloigner ensuite de nous ; mais il nous donne toujours, tant qu’il demeure ce qu’il est, ou plutôt tant que nous nous tournons vers lui ; c’est là que nous trouvons le bonheur ; nous éloigner de lui, c’est déchoir. C’est en lui que notre Âme se repose : c’est en s’élevant à ce lien pur de tout mal qu’elle est délivrée des maux ; c’est là qu’elle pense, là qu’elle est impassible, là qu’elle vit véritablement. La vie actuelle, où l’on n’est pas avec Dieu, n’est qu’un vestige, une ombre de la vie véritable. La vie véritable [où l’on est avec Dieu] est l’actualité de l’Intelligence. C’est cette actualité de l’Intelligence qui engendre les dieux en touchant l’Un par une sorte de tact silencieux (ἐν ἡσύχῳ τῇ πρὸς ἐϰεῖνο ἐπαφῇ (en hesuchô tê pros ekeino epaphê)) ; c’est elle qui engendre la beauté, et la justice, et la vertu. Voilà ce que porte dans son sein l’âme remplie de Dieu ; c’est en lui qu’est son principe et sa fin : son principe, parce que c’est de là qu’elle procède ; sa fin, parce que c’est là qu’est le bien où elle tend, et qu’en retournant là, elle redevient ce qu’elle était. La vie d’ici-bas, au milieu des choses sensibles, c’est pour l’âme une chute, un exil, la perte de ses ailes[1].

Ce qui démontre encore que notre bien est là-haut, c’est l’amour qui est inné dans notre âme, comme l’enseignent les descriptions et les mythes qui font de l’Amour l’époux de l’âme[2]. En effet, puisque l’âme, qui est autre que Dieu, procède de lui, il faut nécessairement qu’elle l’aime ; mais, quand elle est là-haut[3], elle a un amour céleste ; ici-bas, elle n’a plus qu’un amour vulgaire : car c’est là-haut

    vivons, que nous sommes mus et que nous sommes ;… puisqu’il nous donne à tous la vie, la respiration et toutes choses. » (Actes, XVII, 25, 27, 28.)

  1. Ce sont toutes expressions empruntées au Phèdre de Platon. Voy. Enn. IV, liv. III, § 7 ; t. II, p. 277.
  2. Plotin fait ici allusion à la fable célèbre de l’Amour et de Psyché, telle qu’elle a été développée par Apulée.
  3. Pour plus de détails, Voy. Enn. III, liv. V, § 2 ; t. II, p. 106.