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Page:Plotin - Ennéades, t. III.djvu/689

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PORPHYRE.

C’est dans ce but que les Pythagoriciens s’appliquaient aux mathématiques, comme nous l’apprend entre autres Modératus de Gadès, qui a rassemblé en onze livres les opinions de ces philosophes[1].

Ne pouvant, dit-il, expliquer clairement par la parole les premières formes (τὰ πρῶτα εἴδη) et les premières causes (τὰς πρώτας ἁρχάς), parce qu’elles sont difficiles à concevoir et à exprimer, les Pythagoriciens eurent recours aux nombres pour enseigner plus facilement leur doctrine, suivant en cela l’exemple des géomètres et des grammairiens. Ces derniers en effet, pour enseigner la valeur des éléments [du langage] et ces éléments mêmes, se servent des caractères de l’alphabet en disant qu’ils sont les premiers éléments à étudier, mais ils enseignent plus tard que les caractères ne sont pas des éléments, qu’ils servent seulement à concevoir les éléments véritables [c’est-à-dire les sons élémentaires de la parole]. De leur côté les géomètres, ne pouvant nous représenter à l’aide de la parole les formes des corps, décrivent des figures, en avertissant que le triangle n’est pas la figure qu’on a sous les yeux, mais bien ce qui a une telle propriété, et ils donnent ainsi l’idée du triangle. C’est ce que firent les Pythagoriciens pour les raisons et les formes premières. Ne pouvant expliquer par la parole les formes immatérielles et les causes premières, ils eurent recours aux nombres pour les indiquer. C’est ainsi qu’ils appelèrent un (ἔν) la raison de l’unité, de l’identité et de l’égalité, aussi bien que la cause de l’accord, de la sympathie et de la conservation de l’univers, enfin de ce qui demeure dans un état identique et immuable ; et ils lui donnèrent ce nom, parce que telle est la nature de l’un qui se trouve dans les choses particulières, qu’il est uni et que l’accord règne entre ses parties, par l’effet de sa participation à la Cause première. Quant à la raison de la différence et de l’inégalité, et en général, de tout ce qui est divisible et muable et qui change avec le temps, ils l’appelèrent dyade, parce que telle est la nature de la dualité dans les choses particulières. Les Pythagoriciens n’ont pas été les seuls qui reconnussent ces raisons : car nous voyons que les autres philosophes ont également admis qu’il existe des puissances qui contiennent l’univers et y font régner l’unité, et qu’il existe également des raisons d’égalité, de différence et de dissemblance. C’est donc pour s’exprimer avec plus de clarté que les Pythagoriciens donnèrent à ces raisons les noms d’un et de dyade ; aussi pour eux dualité, inégalité et différence sont des termes équivalents. Il en est de même des autres nombres : chacun d’eux a reçu la place

  1. Sur Modératus de Gadès, Voy. t. II, p. 628-629.