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Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 3.djvu/106

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COMPARAISON DE CIMON ET DE LUCULLUS.

tion la plus honorable. Mais, de ne donner d’autre fin à ses belles actions que la volupté, de ne quitter les travaux de la guerre et le commandement des armées que pour passer le reste de sa vie dans les fêtes de Vénus, dans les jeux et la mollesse, c’est se rendre peu digne de cette célèbre Académie, c’est se comporter non en émule de Xénocrate[1] mais en homme qui se laisse aller aux séductions d’Épicure.

Ce qui rend bien étonnante cette différence entre Cimon et Lucullus, c’est que la jeunesse du premier se montre à nous répréhensible et déréglée, et que celle de l’autre fut sage et tempérante. Or, celui qui change en mieux est préférable ; car le meilleur naturel est celui en qui le vice vieillit avec l’âge, tandis que la vertu rajeunit. Enrichis l’un et l’autre par les mêmes moyens, ils ne firent pas le même usage de leurs richesses : il serait injuste en effet de comparer à la muraille que Cimon fit bâtir au midi de la ville, de l’argent qu’il avait apporté de ses expéditions, les maisons de plaisance, les belvédères entourés d’eau, que Lucullus éleva dans Naples, des dépouilles conquises sur les Barbares. Il ne faut pas non plus mettre en parallèle la table de Cimon avec celle de Lucullus ; une table populaire, dressée par l’humanité, avec une table somptueuse et digne d’un satrape. La première, au moyen d’une faible dépense, nourrissait chaque jour une foule d’indigents ; l’autre, avec des trésors énormes, ne fournissait qu’au luxe de quelques voluptueux. On dira peut-être que c’est le temps qui a mis entre eux cette différence dans leur conduite ; car on ne sait pas si Cimon, après les exploits qui l’ont illustré à la tête des armées, passant à une vieillesse paisible, loin des guerres et de l’administration des affaires, ne se serait

  1. Disciple de Platon, fameux par sa tempérance et l’austérité de ses mœurs.