Aller au contenu

Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 3.djvu/107

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
103
COMPARAISON DE CIMON ET DE LUCULLUS.

pas abandonné, plus encore que Lucullus, à une vie de luxe et de voluptés. Il aimait naturellement le vin, les fêtes, les assemblées, et il avait été fort décrié, comme je l’ai dit, par son penchant pour les femmes. Mais les succès dans les entreprises difficiles et dans les combats, portent en eux des plaisirs d’un autre genre, qui ôtent aux caractères ambitieux, et nés pour gouverner les affaires politiques, le temps et le désir de se livrer aux passions vicieuses. Que si donc Lucullus eût fini sa vie au milieu des combats et à la tête des armées, le censeur le plus sévère, le critique le plus pointilleux ne trouverait pas en lui, ce me semble, matière à blâmer.

Voilà pour la conduite qu’ils ont menée.

Quant au mérite militaire, on ne peut disconvenir qu’ils ne se soient également distingués l’un et l’autre et sur terre et sur mer. Mais, comme entre les athlètes ceux qui ont vaincu en un même jour à la lutte et au pancrace, sont, suivant une certaine coutume, proclamés vainqueurs par excellence ; de même Cimon, qui, dans un seul jour couronna la Grèce du double trophée de la victoire terrestre et de la victoire navale, mérite quelque prééminence entre les généraux. Ajoutons que Lucullus reçut de sa patrie le commandement, tandis que Cimon le donna à la sienne. Le premier trouva Rome imposant des lois à ses alliés, et étendit son empire par de nouvelles conquêtes ; Cimon, au contraire, trouva Athènes marchant sous des lois étrangères, et il la rendit triomphante et de ses amis et de ses alliés ; il força les Perses vaincus d’abandonner l’empire de la mer, et obtint de Lacédémone le renoncement volontaire à ses prétentions de ce côté.

Si le plus grand talent d’un général c’est d’obtenir l’obéissance par l’affection qu’il inspire, Lucullus fut méprisé de ses soldats, tandis que Cimon fut admiré des alliés : l’un se vit abandonné de ses propres troupes ;