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Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 3.djvu/108

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COMPARAISON DE CIMON ET DE LUCULLUS.

l’autre gagna à son parti les étrangers mêmes. L’un retourna dans son pays, délaissé par ceux-là même qu’il commandait à son départ ; l’autre, parti avec des troupes qu’il devait soumettre, ainsi que lui-même, aux ordres d’autrui, revint à leur tête, affranchi de toute sujétion, après avoir assuré à son pays trois choses les plus difficiles du monde : la paix avec les ennemis, l’empire sur les alliés, et la bonne intelligence avec les Lacédémoniens. Tous deux entreprirent de renverser de grands empires, et de subjuguer l’Asie entière ; mais ils laissèrent imparfaite l’exécution de leurs desseins : l’un par la jalousie de la Fortune, car il mourut en commandant les armées, et au milieu des succès ; l’autre n’est pas tout à fait exempt du reproche d’avoir causé lui-même son malheur, soit qu’il ait ignoré, ou qu’il n’ait pas su guérir les mécontentements et les plaintes de son armée ; par suite de quoi il se vit en butte à d’implacables haines. Au reste, cette disgrâce lui est commune avec Cimon : souvent cité en justice par ses concitoyens, Cimon finit par être condamné à l’ostracisme : ils voulaient, dit Platon, être dix ans sans entendre sa voix[1]. En effet, les partisans de l’aristocratie sont rarement agréables au peuple : obligés d’employer souvent la contrainte pour le redresser, ils lui causent de cuisants déplaisirs, comme font les bandages dont se servent les médecins pour remettre les articulations disloquées. Mais peut-être n’en faut-il imputer la faute ni à l’un ni à l’autre.

Lucullus s’avança, les armes à la main, bien plus loin que Cimon : le premier des Romains il franchit le Taurus avec une armée ; il traversa le Tigre, prit et brûla, sous les yeux mêmes de leurs rois, les villes royales de l’Asie, Tigranocertes, Cabires, Sinope et Nisibe ; il soumit, avec le secours des rois arabes, dont il avait gagné

  1. C’est dans le Gorgias que Platon s’exprime ainsi.