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Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 3.djvu/401

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encore contre la guerre civile. La crainte que César et Pompée avaient de Crassus leur faisait observer l’un envers l’autre, malgré qu’ils en eussent, les lois de la justice ; mais, après que la Fortune eut enlevé l’athlète capable d’entrer en lice contre le vainqueur, alors on put leur appliquer ce mot d’un comique[1] :

Ils se préparent l’un contre l’autre : les voilà qui se frottent d’huile,
Et qui répandent la poussière sur leurs bras.


Tant la Fortune est peu de chose contre la nature ! elle ne saurait en satisfaire les désirs ; car cette grande autorité, cette vaste étendue de pays, ne purent assouvir l’ambition de deux hommes. Et pourtant ils avaient entendu dire, ils avaient lu que l’univers fut partagé en trois par les dieux, et que chacun des trois frères fui content de sa part d’honneurs[2], eux qui n’étaient que deux à partager l’empire romain, et qui ne crurent pas qu’il pût leur suffire. Cependant Pompée dit alors dans l’assemblée du peuple : « J’ai obtenu toutes les charges beaucoup plus tôt que je ne l’avais espéré, et je les ai quittées plus tôt qu’on ne s’y était attendu. » Il avait, en effet, pour témoins de cette vérité, les armées qu’il avait toujours licenciées de bonne heure. Dans les conjonctures présentes, persuadé que César ne congédierait pas son armée, il voulut se faire des dignités politiques un rempart contre lui, sans rien innover du reste, sans paraître se défier de César, et affectant plutôt de le mépriser et de le croire sans conséquence. Mais, quand il vit que les citoyens, corrompus à prix d’argent, ne distribuaient pas les magistratures à son gré, il laissa régner l’anarchie dans la ville.

  1. On ne sait pas de qui sont ces vers.
  2. Iliade, XV, 180.