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Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 3.djvu/513

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sophes, fut à peine entré dans la chambre du roi, que, prenant un ton très-haut : « Le voilà donc, dit-il, cet Alexandre sur qui le monde a aujourd’hui les yeux ouverts ! Le voilà étendu à terre comme un esclave, fondant en larmes, craignant les lois et la censure des hommes, lui qui doit être pour eux la loi même et la règle de la justice ! Pourquoi a-t-il donc vaincu ? Est-ce pour commander, pour régner en maître, ou pour se laisser maîtriser par une vaine opinion ? Ne sais-tu pas, ajouta-t-il, que la Justice et Thémis sont assises aux côtés de Jupiter ? et qu’est-ce à dire, sinon que toutes « les actions du prince sont justes et légitimes ? » Anaxarchus, par ces discours et par d’autres semblables, allégea la douleur du roi ; mais il le rendit plus vaniteux et plus injuste. Du reste, il s’insinua merveilleusement dans ses bonnes grâces, et le dégoûta de plus en plus de la conversation de Callisthène, dont l’austérité avait déjà si peu d’attraits pour Alexandre.

Un jour, à table, la conversation tomba sur les saisons et sur la température de l’air : Callisthène trouvait, comme bien d’autres, que ce climat était plus froid que celui de la Grèce, et que les hivers y étaient plus rudes. Anaxarchus soutenait avec obstination le contraire. « Tu ne saurais disconvenir, dit Callisthène, que nous ne soyons dans un climat plus froid ; car, en Grèce, tu passais l’hiver vêtu d’un simple manteau ; et ici, te voilà enveloppé, à table, de trois gros tapis. » Anaxarchus fut vivement piqué de cette réponse. De plus, les autres sophistes et les flatteurs d’Alexandre étaient mortifiés de voir Callisthène recherché des jeunes gens pour son éloquence, et non moins agréable aux vieillards par sa conduire réglée, grave et modeste, et qui confirmait le motif qu’on donnait à son voyage en Asie : il n’était venu, disait-on, trouver Alexandre que dans le dessein d’obtenir le rappel de ses concitoyens exilés et le rétablissement de sa pa-