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Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 3.djvu/515

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Ce discours remplit les Macédoniens d’une haine furieuse et implacable ; et Alexandre dit que Callisthène avait donné moins des preuves de son talent, que de son animosité contre les Macédoniens.

Voilà, suivant Hermippus, le récit que Stroïbus, le lecteur de Callisthène, avait fait à Aristote. Callisthène, dit le même écrivain, qui voyait qu’il s’était aliéné l’esprit du roi, lui dit deux ou trois fois à lui-même, en le quittant :

Patrocle est mort aussi, qui valait bien mieux que toi[1].


Aristote n’eut donc pas tort de dire que Callisthène avait une puissante et noble éloquence, mais qu’il manquait de jugement. Pourtant son refus persévérant, et digne d’un vrai philosophe, de rendre au roi l’adoration qu’il exigeait, son courage à dire publiquement ce qui indignait, dans le secret de l’âme, les plus honnêtes et les plus vieux des Macédoniens, épargnèrent aux Grecs une grande honte, et à Alexandre lui-même une honte plus grande encore, en le faisant renoncer à de pareils hommages ; mais Callisthène se perdit, parce qu’il eut l’air de forcer le roi plutôt que de le persuader.

Charès de Mitylène raconte que, dans un banquet, Alexandre, après avoir bu, présenta la coupe à un de ses amis ; celui-ci, l’ayant prise, se leva, se tourna du côté de l’autel des dieux domestiques, but la coupe, et, après avoir donné un baiser au roi, se remit à table. Tous les autres convives firent successivement ce qu’il venait de faire. Callisthène reçut la coupe à son tour, pendant qu’Alexandre s’entretenait avec Héphestion et ne prenait pas garde à lui : il la boit, et va, comme les autres, pour donner un baiser au roi. Mais Démétrius, surnommé

  1. Iliade, xxi, 107.