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Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 3.djvu/667

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tous ses camarades, car il était fils de Mételïa, femme de Sylla ; mais ils repoussèrent l’autre, nommé Sextus, quoique neveu de Pompée, et ils déclarèrent qu’ils ne voulaient ni s’exercer sous lui ni le suivre. Sylla leur demanda quel était donc celui qu’ils voulaient pour chef ; et tous s’écrièrent : « Caton. » Sextus lui-même se retira, et céda cet honneur à Caton, comme au plus digne.

Sylla, qui avait été l’ami particulier du père, faisait de temps en temps venir Caton et Cépion, pour converser avec eux : faveur qu’il n’accordait qu’à très-peu de personnes, à raison de la dignité de sa charge et de la grandeur de sa puissance. Sarpédon, gouverneur des jeunes gens, qui sentait de quelle conséquence pouvait être une telle distinction pour l’avancement et la sûreté de ses élèves, menait souvent Caton dans la maison de Sylla, pour qu’il fît sa cour au dictateur. Cette maison était une véritable image de l’enfer, par le grand nombre de personnes qu’on y amenait tous les jours pour les appliquer à la torture. Caton avait alors quatorze ans : il voyait emporter les têtes des personnages les plus illustres de Rome, et il entendait gémir en secret les témoins de ces horreurs. « Comment se fait-il qu’il n’y ait per sonne pour tuer cet homme ? » demanda-t-il à son gouverneur. « Mon enfant, dit Sarpédon, c’est qu’on le craint encore plus qu’on ne le hait. — Que ne m’as-tu donc donné une épée ? répliqua le jeune homme ; j’aurais délivré, en le tuant, ma patrie de l’esclavage. » Sarpédon, effrayé de ces paroles, et plus encore de l’air de colère et de fureur qui respirait dans les yeux et sur le visage de Caton, l’observa depuis avec un grand soin ; et le garda à vue, de peur qu’il ne se portât à quelque entreprise téméraire.

Un jour, comme il n’était encore qu’un petit enfant, on lui demanda quelle personne il aimait le plus : il répondit que c’était son frère. « Et après encore ? — Mon frère. »