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Page:Poe - Les Poèmes d’Edgar Poe, trad. Mallarmé, 1889.djvu/168

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SCOLIES

À côté de l’Amérique que vous et moi portons haut dans notre estime (il est, hélas ! comme un pays dans un pays), j’en sais une à jamais offusquée par cet éclat trop vif, Poe.

Que lui pourrait réclamer la race du prince spirituel de cet âge, si superbement appelé aussi quelque part[1] « un des plus grands héros littéraires », sinon de ne l’avoir point asservie et forcée à l’admiration et enchaînée à son triomphe. Reproche étrange et pour la première fois peut-être formulé par les bouches humaines : pas dénué de sens. Le devoir est de vaincre, et un inéluctable despotisme participe du génie. Cette force, Poe l’avait (j’en appelle à l’admiration française de ces temps qu’il a fascinée). Son tort fut simplement de n’être placé dans le milieu exact, là où l’on exige du poète qu’il impose sa puissance. L’homme, qu’il fut, souffrit toujours de cette erreur du sort ; et qui sait, — aux deux seules phases extrêmes de sa vie quand il trempa les lèvres dans une coupe mauvaise, vers le commencement et la fin, — si l’alcoolique de naissance qui tout le temps qu’il vécut ou accomplit son œuvre, si noblement se garda d’un vice héréditaire et fatal, ne l’accueillit, sur le tard, pour combattre à jamais avec l’illusion latente dans le breuvage le vide d’une destinée extraordinaire niée par les

  1. Baudelaire. Edgard Poe, sa vie et ses œuvres (Histoires extraordinaires).
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