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II


Car il ne fut jamais dupe ! — Je ne crois pas que le Virginien qui a tranquillement écrit en plein débordement démocratique : « Le peuple n’a rien à faire avec les lois, si ce n’est de leur obéir, » ait jamais été une victime de la sagesse moderne ; — et : « Le nez d’une populace, c’est son imagination ; c’est par ce nez qu’on pourra toujours facilement la conduire ; » — et cent autres passages où la raillerie pleut, drue comme mitraille, mais cependant nonchalante et hautaine. — Les swedenborgiens le félicitent de sa Révélation magnétique, semblables à ces naïfs illuminés qui jadis surveillaient dans l’auteur du Diable amoureux un révélateur de leurs mystères ; ils le remercient pour les grandes vérités qu’il vient de proclamer, — car ils ont découvert (ô vérificateur de ce qui ne peut pas être vérifié !) que tout ce qu’il a énoncé est absolument vrai ; — bien que d’abord, avouent ces braves gens, ils aient eu le soupçon que ce pouvait bien être une simple fiction. Poe répond que, pour son compte, il n’en a jamais douté. — Faut-il encore citer ce petit passage qui me saute aux yeux, tout en feuilletant pour la centième fois ses amusants Marginalia, qui sont comme la chambre secrète de son esprit : « L’énorme multiplication des livres dans toutes les branches de connaissances est l’un des plus grands fléaux de cet âge ! car elle est un des plus sérieux obstacles à l’acquisition de toute connaissance positive. » Aristocrate de nature plus encore que de naissance, le Virginien, l’homme du Sud, le Byron égaré dans un mauvais monde, a toujours gardé son impassibilité philosophique, et, soit qu’il définisse le nez de la populace, soit qu’il raille les fabricateurs de religions, soit qu’il bafoue les bibliothèques, il reste ce que fut et ce que sera toujours le vrai poète, — une vérité habillée d’une manière bizarre, un paradoxe apparent, qui ne veut pas être coudoyé par la foule, et qui court à l’extrême orient quand le feu d’artifice se tire au couchant.

Mais voici plus important que tout : nous noterons que cet auteur, produit d’un siècle infatué de lui-même, enfant d’une nation