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Page:Poincaré - Au service de la France, neuf années de souvenirs, Tome 4, 1927.djvu/44

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attaché naval, chez le chef d’État-major de la marine, une conversation des plus curieuses. Mme de Faramond, Américaine d’origine, jouit ici d’une situation particulière à la Cour par le fait qu’une de ses sœurs avait épousé le baron Speck de Sternberg, qui fut ambassadeur d’Allemagne à Washington et l’un des amis particuliers de l’Empereur. M. de Tirpitz désirait ardemment que cette conversation me fût rapportée. J’ai prié notre attaché naval de m’en faire un compte rendu tout personnel. J’ai l’honneur de transmettre ce compte rendu à Votre Excellence, en la priant de lui garder un caractère absolument secret. La personnalité de M. de Tirpitz est considérable. Ses paroles ont une importance que nous ne pouvons nous dissimuler. Elles reflètent évidemment les préoccupations que l’on a en haut lieu, surtout si on les rapproche de certains propos de l’Empereur et du général de Moltke que j’ai rapportés en leur temps à votre prédécesseur. Il est clair que l’Allemagne souhaiterait de voir revenir le temps où elle nous prêtait son appui dans l’affaire tunisienne et où les difficultés égyptiennes nous tenaient séparés de l’Angleterre. L’amiral de Tirpitz a toujours été profondément hostile à l’Angleterre. Nous le considérions comme animé d’un esprit pangermaniste qui en faisait pour nous un adversaire redoutable. Son langage actuel et l’espèce d’émotion qu’il a eue en parlant à son interlocutrice ne sont pas le fait du hasard chez un homme de cette nature d’esprit. On peut se demander si certains bruits qui courent de la chute possible du chancelier et de son remplacement par M. de Tirpitz ne reposent pas sur un fondement sérieux et si l’amiral de Tirpitz n’a pas voulu écarter certaines préventions