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Page:Poincaré - Comment fut déclarée la guerre de 1914, Flammarion, 1939.djvu/102

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RAYMOND POINCARÉ

tale. C’est également ce que rapporte le général Youri Danilov, quartier-maître général des armées russes. Ce dernier, qui était en congé avant le 24 juillet, avait été rappelé en hâte à Saint-Pétersbourg à la nouvelle de l’ultimatum autrichien. Il avait été fort étonné que le Conseil des ministres et le Conseil de la Couronne eussent pu envisager une mobilisation partielle, qu’il considérait comme devant rendre, par la suite, une mobilisation générale pratiquement impossible et il avait cru devoir, à plusieurs reprises, conférer de la question avec le ministre de la Guerre, général Soukhomlinoff, le chef du grand État-major, général Yanoushkévitch, le chef du service de mobilisation, général Dobrorolsky et le chef des transports militaires, général Rongine. Il avait été unanimement reconnu dans ces conférences militaires que la mobilisation limitée à quatre districts, ceux de Kiew, Odessa, Moscou et Kazan, présentait les plus graves inconvénients techniques. Les plans de guerre n’avaient prévu, pour le cas de complications survenant sur le front occidental de la Russie, qu’une mobilisation générale s’étendant à l’armée tout entière. Toute mobilisation partielle ne pouvait être qu’une improvisation et devait, par suite, introduire des éléments d’hésitation et de désordre dans une organisation dont il était nécessaire de régler le fonctionnement avec une précision mathématique.

Pendant toute l’après-midi du 28, les généraux examinent de nouveau la possibilité d’une mobilisation partielle et continuent à conclure négativement, preuve péremptoire que rien n’est encore fait. À toutes fins utiles, l’État-major prépare, dans la soirée, deux projets d’ukase, l’un pour ordonner la mobilisation partielle, l’autre pour ordonner la mobilisation générale. L’incertitude se prolonge et même, lorsque, dans ses télégrammes, M. Sazonoff annonce la mobilisation dans quatre circonscriptions pour le 29, tout est encore en suspens, puisque aucun ukase n’est signé par le Tsar, et puisque, après la signature de l’ukase, il faudra, par surcroît, le contre-seing du Sénat dirigeant et enfin la signature des ministres de la Marine, de la Guerre et de l’Intérieur sur le télégramme de mobilisation. Aucune de ces formalités obligatoires n’est remplie lorsque M. Sazonoff prévient les chancelleries de la mesure qui, pense-t-il, va être prise dès le lendemain.

Cette journée du 29, qui a été si pleine d’angoisses pour le gouvernement français et pour moi, a été particulièrement critique en Russie. Dans la matinée, M. Sazonoff reçoit une première fois l’ambassadeur d’Allemagne. Le comte de Pourtalès avait annoncé au baron Schilling qu’il avait une agréable communication à faire au ministre. Il déclare, en effet, à M. Sazonoff que le gouvernement allemand est disposé à conseiller à l’Autriche-Hongrie d’entrer dans la voie des concessions et qu’il