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Page:Poincaré - Comment fut déclarée la guerre de 1914, Flammarion, 1939.djvu/103

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COMMENT FUT DÉCLARÉE LA GUERRE DE 1914

espère que son influence ne sera pas contrariée par une mobilisation prématurée. Le ministre répond au comte de Pourtalès que l’armée russe restera éventuellement des semaines entières sans franchir la frontière et qu’il va être seulement procédé à la mobilisation dans les districts voisins de l’Autriche.

M. Sazonoff reçoit également l’ambassadeur d’Autriche, M. de Szapary, et il lui tient un langage analogue. Les troupes resteront l’arme au pied jusqu’au jour où seront menacés les intérêts balkaniques de la Russie. Ni à l’un, ni à l’autre des ambassadeurs, le ministre ne parle d’une mobilisation générale, à laquelle jusqu’ici il n’a jamais songé.

À trois ou à six heures, suivant Schilling ou Pourtalès, l’ambassadeur d’Allemagne revient au ministère du Pont-aux-Chantres et lit à M. Sazonoff un télégramme du chancelier, portant que, « si la Russie continuait ses préparatifs militaires, même sans procéder à la mobilisation, l’Allemagne se trouverait elle-même dans l’obligation de mobiliser, auquel cas elle devrait prendre immédiatement l’offensive. — aintenant, répond vivement M. Sazonoff, je n’ai plus de doute sur les vraies causes de l’intransigeance autrichienne ». Le comte de Pourtalès se lève précipitamment de son siège et, à son tour, s’écrie : « Je proteste de toutes mes forces, monsieur le ministre, contre cette assertion blessante. — L’Allemagne a toujours l’occasion de prouver que je me trompe », riposte M. Sazonoff. Le ministre et l’ambassadeur se séparent froidement.

Peu après le départ de M. de Pourtalès, l’Empereur téléphone à M. Sazonoff et lui dit qu’il vient de recevoir un télégramme du Kaiser le pressant de ne pas laisser les événements se développer dans le sens d’une guerre. M. Sazonoff fait part à l’empereur Nicolas II de sa conversation avec l’ambassadeur et lui signale les contradictions entre les déclarations de Guillaume et celles de son représentant. Le Tsar répond qu’il va immédiatement télégraphier à Berlin pour demander l’explication de ces différences. Le ministre des Affaires étrangères sollicite l’autorisation de discuter le problème de la mobilisation avec le ministre de la Guerre et le chef d’État-major. Le Tsar y consent.

Le ministre civil confère, en effet, avec les autorités militaires et il arrive lui-même à la conviction qu’une mobilisation générale est préférable à une mobilisation partielle. La principale cause de cette décision nouvelle est, à n’en pas douter, comme le montre M. Renouvin, la démarche comminatoire du comte de Pourtalès. La délibération, en effet, se résume en ce motif : Considérant qu’il est peu vraisemblable que la guerre avec l’Allemagne puisse être évitée, il est nécessaire de se préparer en temps voulu à cette éventualité ; on ne doit donc pas risquer de compromettre la mobilisation