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Page:Poincaré - Comment fut déclarée la guerre de 1914, Flammarion, 1939.djvu/106

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RAYMOND POINCARÉ

M. Sazonoff a-t-il eu l’idée de la présenter ? C’est ce que M. Paléologue explique à M. Viviani dans deux télégrammes qui arrivent à Paris l’un à 16 heures, l’autre à 17 h. 25 : Mon collègue d’Allemagne est venu cette nuit insister de nouveau auprès de M. Sazonoff pour que la Russie cessât ses préparatifs militaires, en affirmant que l’Autriche ne porterait pas atteinte à l’intégrité territoriale, de la Serbie. « Ce n’est pas absolument l’intégrité territoriale de la Serbie que nous devons sauvegarder, a répondu M. Sazonoff ; c’est encore son indépendance et sa souveraineté. Nous ne pouvons pas admettre que la Serbie devienne vassale de l’Autriche. Si, par impossible, nous laissions sacrifier la Serbie, toute la Russie se soulèverait contre le gouvernement. » M. Sazonoff a ajouté : « L’heure est trop grave pour que je ne vous déclare pas toute ma pensée. En intervenant à Pétersbourg, tandis qu’elle refuse d’intervenir à Vienne, l’Allemagne ne cherche qu’à gagner du temps, afin de permettre à l’Autriche d’écraser le petit royaume serbe, avant que la Russie ait pu le secourir. Mais l’empereur Nicolas a un tel désir de conjurer la guerre que je vais vous faire en son nom une dernière proposition. » Et M. Sazonoff a remis au comte de Pourtalès le texte annexé à la note de M. Isvolsky et rapporté plus haut. L’ambassadeur d’Allemagne, dit M. Paléologue, a promis d’appuyer cette proposition auprès de son gouvernement, et notre ambassadeur ajoute : « Dans la pensée de M. Sazonoff, l’acceptation de l’Autriche aurait pour corollaire logique l’ouverture d’une délibération des Puissances à Londres. » À ces télégrammes de Pétersbourg, le Quai d’Orsay répond le 30, à 20 h. 40, en quelques lignes rédigées par M. Philippe Berthelot et signées par M. de Margerie, sur les instructions et au nom de M. Viviani : Je dois vous signaler que M. Isvolsky m’a, de son côté, fait connaître la proposition russe, mais en indiquant qu’elle s’est produite à la suite d’une demande insistante de l’ambassadeur d’Allemagne à Pétersbourg pour connaître les conditions auxquelles le gouvernement russe arrêterait ses préparatifs militaires. Quoi qu’il en soit, au cas où, comme il se peut, les conditions formulées par M. Sazonoff ne paraîtraient pas, dans leur teneur actuelle, acceptables à l’Autriche, il vous appartiendrait, en vous tenant en étroit contact avec M. Sazonoff et sans contrecarrer la tentative anglaise, de rechercher avec lui telle formule qui paraîtrait pouvoir fournir une base de conversation et d’accommodement.

Ainsi, le gouvernement français n’entend rien négliger de ce qui peut sauver la paix et il s’accroche désespérément à toutes les branches de salut. Mais, à 11 heures et demie du soir, arrive encore au Quai d’Orsay cette information de M. Paléologue : Dans un entretien qu’il a eu cette après-midi avec le comte de Pourtalès, M. Sazonoff a dû se convaincre que l’Allemagne ne veut pas prononcer à Vienne la parole décisive qui sauvegarderait la paix. L’empereur Nicolas garde la même impression d’un échange de télégrammes qu’il vient d’avoir personnellement avec l’empereur Guillaume. D’autre part, l’État-major et l’amirauté russes ont reçu d’inquiétants renseignements sur les préparatifs de