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Page:Poincaré - Comment fut déclarée la guerre de 1914, Flammarion, 1939.djvu/14

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raymond poincaré

magnifiquement reçu l’empereur Guillaume, devant l’escadre venue de Pola pour saluer les deux grands alliés.

Le 2, au soir, les cercueils arrivent à Vienne et y sont publiquement exposés à la lueur des flambeaux. C’est alors M. Dumaine qui nous décrit la suite des cérémonies funèbres. Il ajoute qu’à aucune d’elles n’a été convié le corps diplomatique et qu’à aucune non plus ne s’est montré Guillaume II. Le Kaiser avait annoncé dès la première heure qu’il assisterait aux obsèques. Il avait été si récemment l’hôte joyeusement accueilli de l’archiduc à Konopischt que son désir de lui rendre les derniers devoirs semblait tout naturel. Mais il voulait amener avec lui les officiers du régiment prussien dont le défunt était colonel honoraire et là, comme partout, frapper par l’éclat de sa présence. C’était une prétention qui s’accordait mal avec le programme modeste et terne qu’on avait préparé. L’impitoyable étiquette ne permettait pas, en effet, que l’épouse morganatique de l’archiduc participât à des honneurs princiers. Pas un seul membre de la famille des Habsbourg ne s’était dérangé pour accompagner de Serajevo à Vienne les dépouilles des victimes. L’armée n’avait pas été admise aux funérailles de son généralissime ; et, sous prétexte de ménager la santé du vieil Empereur, on avait réussi à éviter la venue des souverains étrangers et de leurs familles. L’empereur d’Allemagne, éclairé sur l’accueil fait à ses ouvertures, s’était ravisé et avait annoncé qu’il était retenu à Potsdam par une légère indisposition. En même temps que M. Dumaine donnait au gouvernement de la République ces curieux détails, il pressentait déjà ce qui se tramait dans l’ombre, et il écrivait : Après avoir, vivant, suscité tant de craintes et soulevé tant d’inimitiés, l’archiduc François-Ferdinand d’Este demeure, jusque dans la mort, inquiétant et menaçant. L’attentat auquel il a succombé ranime les haines contre la Serbie et même la Russie. Sous prétexte de venger l’assassinat, c’est presque toute la question des Balkans que l’on prétend rouvrir.

Déjà, d’ailleurs, l’Allemagne, sans même connaître exactement les circonstances du meurtre, prend parti pour l’Autriche contre la Serbie, et, le 4 juillet, M. de Manneville, qui remplace à Berlin notre ambassadeur en congé, télégraphie à M. René Viviani : Le sous-secrétaire d’État des Affaires étrangères m’a dit hier et a répété aujourd’hui à l’ambassadeur de Russie qu’il espérait que la Serbie donnerait satisfaction aux demandes que l’Autriche pouvait avoir à lui adresser en vue de la recherche et de la poursuite des complices du crime de Serajevo. Et il a ajouté que, si la Serbie agissait autrement, elle aurait contre elle l’opinion de tout le monde civilisé.

M. Sazonoff[1], au contraire, semble porté à défendre la Serbie contre

  1. Ministre des Affaires étrangères russe.