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Page:Poincaré - Comment fut déclarée la guerre de 1914, Flammarion, 1939.djvu/15

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comment fut déclarée la guerre de 1914

des procédés arbitraires. Il a signalé amicalement au comte Czernin, chargé d’affaires d’Autriche-Hongrie à Saint-Pétersbourg, l’irritation inquiétante que les attaques de la presse viennoise contre la Serbie, à la suite d’un crime commis sur territoire austro-hongrois par des sujets autrichiens, risqueraient de produire en Russie ; et comme le comte Czernin laissait entendre que le gouvernement austro-hongrois serait peut-être obligé de rechercher sur le sol de la Serbie les instigateurs de l’attentat de Serajevo, M. Sazonoff l’a interrompu : « Aucun pays plus que la Russie, a-t-il dit, n’a eu à souffrir des attentats préparés sur territoire étranger. Avons-nous jamais prétendu employer contre un pays quelconque les procédés dont vos journaux menacent la Serbie ? Ne vous engagez pas dans cette voie ; elle est dangereuse. »

Le 5 juillet, le comte Szecsen vient à l’Élysée et me remercie encore, au nom de l’empereur François-Joseph et du gouvernement austro-hongrois, des condoléances que j’ai exprimées au souverain et à la famille impériale. Je renouvelle, au cours de l’entretien, l’assurance que ce crime a causé dans la France entière un véritable sentiment d’horreur. Je remarque discrètement qu’en général les assassinats politiques ne sont, comme celui du président Carnot, en France, que des actes de fanatiques isolés. Le comte Szecsen, aux intentions pacifiques duquel j’ai souvent rendu hommage, me répond cependant, comme si déjà il avait reçu un mot d’ordre : « Le crime de Caserio ne correspondait à aucune agitation francophobe en Italie. Au contraire, depuis bien des années, on emploie en Serbie tous les moyens licites et illicites pour exciter les Slaves contre la Monarchie austro-hongroise. »

La thèse que m’a présentée avec modération l’ambassadeur impérial ne tarde pas à devenir celle du gouvernement austro-hongrois. Tout le monde à Vienne parle couramment d’en finir avec la Serbie. Dès le 30 juin, M. de Tschirschky, ambassadeur d’Allemagne en Autriche, constate la généralité de cet état d’esprit et en fait part à la Wilhelmstrasse : Hier, écrit-il, j’entendis des gens sérieux exprimer le désir de régler définitivement le compte des Serbes. Je profite de toute occasion pour déconseiller tranquillement, mais sérieusement, des mesures précipitées. À la bonne heure ! Voilà un ambassadeur d’Allemagne qui se distingue par sa modération. Mais son rapport est soumis à l’Empereur et Guillaume aussitôt l’annote rageusement : Qui l’y a autorisé ? écrit-il (qui a autorisé Tschirschky à tenir ce langage raisonnable ?). C’est très bête. Cela ne le regarde pas du tout. C’est exclusivement l’affaire de l’Autriche de décider ce qu’elle doit faire. Après, si cela va mal, on dira : C’est l’Allemagne qui n’a pas voulu ! Que Tschirschky me fasse le plaisir de laisser là toutes ces sottises. Avec les Serbes, il faut en finir le plus tôt possible. Maintenant ou jamais ! Dans ce mot d’ordre impérial,