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Page:Poincaré - Comment fut déclarée la guerre de 1914, Flammarion, 1939.djvu/150

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RAYMOND POINCARÉ

tière toute troupe assaillante sans la poursuivre plus loin et sans entrer sur le territoire adverse.

Nous apprenons, d’autre part, que, dès le matin, les troupes allemandes ont pénétré dans le grand-duché de Luxembourg, par les ponts de Wasserbillig et de Remich, et qu’elles se sont dirigées vers la ville capitale.

Nous nous empressons de signaler cette conduite à sir Ed. Grey. Mais le cabinet britannique continue d’évoluer avec une prudente lenteur. En revenant de Londres, M. William Martin m’a rapporté la réponse du Roi. Écrite tout entière en anglais et de la main de George V, sur du papier à en-tête de Buckingham Palace, elle ne contient encore aucune assurance positive. Paralysé par les règles constitutionnelles, le souverain a dû naturellement se maintenir dans les limites que lui ont tracées les ministres responsables. Il s’exprime ainsi :

Cher et grand ami, j’apprécie hautement les sentiments qui vous ont poussé à m’écrire dans un esprit si cordial et si amical ; et je vous suis reconnaissant d’avoir exprimé vos vues si complètement et si franchement. Vous pouvez être assuré que la présente situation européenne a été pour moi cause de beaucoup de préoccupations et d’inquiétudes, et je suis heureux de penser que nos deux gouvernements ont travaillé ensemble si amicalement, en s’appliquant à trouver comme issue une solution pacifique des questions posées. Ce serait pour moi une source de réelle satisfaction si nos efforts conjoints pouvaient être couronnés de succès et je n’ai pas perdu tout espoir que les terribles événements qui semblent si proches puissent être détournés. J’admire la contrainte que vous et votre gouvernement vous vous imposez en évitant à la frontière des mesures militaires injustifiées et en adoptant une attitude qui ne peut en aucune manière être interprétée dans un sens de provocation.

Je consacre personnellement mes meilleurs efforts auprès des empereurs de Russie et d’Allemagne à trouver les moyens de retarder tout au moins les opérations militaires actuelles et de gagner ainsi du temps pour apaiser la discussion entre les Puissances. J’ai l’intention de poursuivre ces efforts sans relâche aussi longtemps qu’il reste un peu d’espoir d’arriver à un arrangement amiable.

Quant à l’attitude de mon pays, les événements changent avec une telle rapidité qu’il est difficile d’en préjuger les développements futurs. Mais vous pouvez être assuré que mon gouvernement continuera à examiner librement et loyalement avec M. Cambon tous les points qui pourraient concerner les intérêts de nos deux nations.

Croyez-moi, monsieur le Président, votre ami sincère. George I. R.

Ainsi invité à continuer les conversations, M. Paul Cambon a donc rappelé à sir Ed. Grey qu’aux termes du traité de Londres de 1867 la Grande-Bretagne et la Prusse avaient garanti la neutralité du Luxembourg et il a ajouté que la violation de la neutralité luxembourgeoise indiquait certainement le dessein de violer aussi la neutralité belge. Sir