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Page:Poincaré - Comment fut déclarée la guerre de 1914, Flammarion, 1939.djvu/166

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RAYMOND POINCARÉ

Travail, a parlé avec un accent de gravité et de sincérité qui a profondément remué le cœur de tous.

À trois heures de l’après-midi, ont commencé les séances des deux Chambres. Au Sénat, chaque phrase de mon message, lu par le garde des Sceaux, a été ponctuée d’applaudissements unanimes. À la fin, tous les sénateurs se sont levés, ont salué d’une triple salve et ont poussé les cris répétés de « Vive la France ! " M. Bienvenu-Martin, qui donne aujourd’hui un fils à la patrie, m’a dit : « Le spectacle était poignant. »

À la Chambre, lorsque, au son des tambours qui battaient aux champs, M. Deschanel est arrivé entre les zouaves qui faisaient la haie, la foule qui remplissait la salle des Pas-Perdus a crié aussi : « Vive la France ! Vive la République ! » Monté au fauteuil, M. Deschanel a prononcé, en quelques paroles émues, l’oraison funèbre de M. Jaurès, assassiné par un dément, à l’heure même où il venait de tenter un suprême effort en faveur de la paix et de l’union nationale. Le président de la Chambre a poursuivi : Ses adversaires sont atteints comme ses amis et s’inclinent avec respect devant notre tribune en deuil. Mais que dis-je ? Y a-t-il encore des adversaires ? Non il n’y a plus que des Français, des Français qui, depuis quarante-quatre ans, ont fait à la cause de la paix tous les sacrifices et qui, aujourd’hui, sont prêts à tous les sacrifices pour la plus sainte des causes : le salut de la civilisation, la liberté de la France et de l’Europe.

Puis, M. Viviani, très pâle, contenant avec peine cette sensibilité débordante dont il lui arrivait si fréquemment de souffrir, a gravi d’un pas lent les degrés de la tribune et a lu, d’une voix grave, le message présidentiel.

Tous ses collègues du ministère et lui avaient pensé, comme moi, que je devais adresser aujourd’hui une communication solennelle aux représentants du pays. Un message, ce n’est pas cependant, contrairement à une croyance très répandue, un acte personnel du président de la République. C’est un document qui doit être délibéré en Gonseil et contresigné par le gouvernement responsable. Seul, un message de démission est dispensé de ce contre-seing. J’avais donc lu mon projet au cabinet, qui l’avait soigneusement examiné. MM. Thomson et Augagneur avaient même suggéré de légères modifications de forme, que j’avais acceptées. L’unanimité s’était aisément faite sur le texte définitif que j’avais rédigé.

Dès les premiers mots, sur tous les gradins de l’amphithéâtre, la Chambre entière, de l’extrême droite à l’extrême gauche, s’est levée. Des hommes tels que le comte de Mun et Maurice Barrès ont immédiatement communié avec les Jules Guesde, les Vaillant, les Marcel Sembat, dans l’amour fervent de la patrie. Le message a reçu le même accueil que dans l’autre Assemblée et les spectateurs ont fait écho à l’enthousiasme des députés :