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Page:Poincaré - Comment fut déclarée la guerre de 1914, Flammarion, 1939.djvu/165

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COMMENT FUT DÉCLARÉE LA GUERRE DE 1914

et restera neutre, mais que lui-même, ayant du sang français dans les veines, il a suivi avec admiration les efforts que le gouvernement de la République a faits pour maintenir la paix et le beau mouvement patriotique qu’a provoqué la mobilisation. Il a exprimé les plus vives sympathies pour la France et a conclu qu’elle va défendre l’indépendance des nations latines et, par conséquent, celle de l’Espagne.

M. Geoffray ajoute : Le Roi m’a parlé ce matin d’un télégramme adressé par le duc de Guise au président de la République, en vue d’obtenir de servir comme soldat, même sous un nom supposé, dans l’armée française au cours de la présente guerre. Sa Majesté m’a dit qu’Elle attacherait un prix « énorme » à ce que cette faveur fût accordée à son cousin : « Je ne puis pas servir sous vos drapeaux, m’a-t-il dit, et je voudrais qu’un de mes cousins y servît. Vous savez que le duc de Guise n’a jamais fait de politique. Si on lui accordait cette faveur dans les conditions que le gouvernement de la République jugerait possibles, j’en serais personnellement très reconnaissant. »

Le duc de Guise m’a, en effet, demandé, avec une dignité parfaite, s’il ne pourrait lui être accordé de servir, ouvertement ou non, dans les armées françaises. J’aurais voulu pouvoir répondre affirmativement à cette généreuse proposition. Mais la loi, que j’ai déjà dû opposer au prince Roland Bonaparte, est formelle, et le cabinet craint qu’il ne soit pas possible de l’abroger sans débats dangereux pour l’union nationale.

Le duc de Vendôme, beau-frère du roi Albert, a écrit, lui aussi, à M. Messimy, pour demander l’autorisation de servir comme soldat à la frontière de l’Est, dans les troupes de première ligne. Le gouvernement est obligé de lui faire la même réponse qu’au duc de Guise et au prince Roland. Mais ces lettres me donnent la preuve que rien ne subsiste, entre les Français, de leurs dissentiments d’hier. C’est vraiment l’unanimité du peuple qui est debout, face à l’Allemagne, sous le drapeau tricolore. Et lorsque j’ai écrit mon passage, le mot m’est venu, tout naturellement, sous la plume : l’union sacrée, sacrée comme le bataillon thébain, dont les guerriers, liés d’une indissoluble amitié, juraient de mourir ensemble, sacrée, comme les guerres entreprises par les Grecs pour la défense du temple de Delphes, sacrée comme ce qui est grand, inviolable et presque surnaturel.

Les obsèques de Jean Jaurès ont eu lieu ce matin, au milieu d’une affluence considérable. Elles ont pris elles-mêmes le caractère auguste d’une manifestation de solidarité nationale. Tous les représentants du pays y assistaient autour des présidents des Chambres et du président du Conseil. M. Maurice Barrès était là, au nom de la Ligue des Patriotes. M. Viviani a prononcé, au milieu des acclamations, un discours très émouvant. M. Jouhaux, secrétaire de la Confédération générale du