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Page:Poincaré - Comment fut déclarée la guerre de 1914, Flammarion, 1939.djvu/65

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COMMENT FUT DÉCLARÉE LA GUERRE DE 1914

Rien de précis de Saint-Pétersbourg, rien de précis de Paris. Je repasse en revue les vagues nouvelles que nous a apportées la télégraphie sans fil, celles que M. Thiébaut a reçues à Stockholm, tous les renseignements contradictoires qu’ont donnés de bonne foi, depuis quelques jours, les diplomates français, russes et anglais. Comme on sent qu’ils en sont réduits aux suppositions ! Jusqu’à la dernière heure, l’Autriche réussit à cacher son jeu.

À Londres, M. Paul Cambon se tient en contact étroit avec sir Ed. Grey. Le secrétaire d’État britannique, dès qu’il a connu la note autrichienne, s’est écrié que jamais une déclaration aussi « formidable » n’avait été adressée par un gouvernement à un autre et qu’il en pouvait sortir de graves complications. Il a attiré l’attention du comte Mensdorf sur les responsabilités assumées par l’Autriche-Hongrie. Il a mandé l’ambassadeur d’Allemagne dans l’espoir de réaliser le projet qu’il avait conçu : obtenir le concours du cabinet de Berlin en vue d’une médiation des quatre Puissances non intéressées dans l’affaire serbe, Allemagne, Angleterre, France, Italie. Cette médiation, dans la pensée de sir Ed. Grey, devait s’exercer simultanément à Vienne et à Saint-Pétersbourg. M. Paul Cambon a spontanément fait remarquer au ministre anglais que nous ne connaissions pas encore les intentions de Saint-Pétersbourg. Par conséquent, une tentative de médiation entre l’Autriche et la Russie ne se justifierait pas et risquerait d’être mal accueillie. M. Cambon juge préférable d’offrir à l’Autriche et à la Serbie une médiation des quatre Puissances non intéressées. Mais ni l’Allemagne, ni l’Autriche ne veulent se prêter à cette tentative. Notre ambassadeur ne cache pas, d’ailleurs, ses inquiétudes. Il craint que la Russie, exaspérée par les exigences de Vienne, ne prenne parti militairement pour les Serbes, qu’elle n’ait ainsi l’initiative d’une agression contre l’Autriche et que l’Allemagne ne soit amenée à soutenir son alliée. Ce sera la guerre générale, conclut M. Paul Cambon.

M. Viviani, M. de Margerie et moi, nous ne cessons d’échanger nos impressions. Nous ne connaissons, à vrai dire, que des bribes de ces télégrammes et de ceux que, la guerre venue, publiera le Livre jaune. Ils nous arrivent souvent indéchiffrables ou ne sont recueillis qu’imparfaitement par les antennes de la France. D’autres ne nous sont pas envoyés. D’autres, échangés entre les chancelleries étrangères, nous resteront longtemps inconnus.

Nous n’avons pu lire encore, dans son texte intégral, la note autrichienne, mais tout ce que nous en savons nous fait venir sur les lèvres le mot de sir Ed. Grey : elle nous semble formidable. Du commencement à la fin apparaît toute la morgue de l’Autriche-Hongrie à l’égard des