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RAYMOND POINCARÉ

avait antérieurement proclamé son désintéressement territorial, qui avait annoncé à l’Europe qu’il n’entendait annexer aucune parcelle de la Serbie, avait, en réalité, l’intention de dépecer le territoire serbe et d’en donner des morceaux aux États balkaniques voisins. Cet aveu du comte de Mensdorff indigne M. de Bethmann-Hollweg, qui ne savait rien encore de ces beaux projets.

Sous l’impression de cette découverte irritante, le chancelier va-t-il télégraphier à Vienne : « Arrêtez-vous ou nous ne suivons plus ? » Point. Les instructions qu’il envoie le soir seulement à l’ambassadeur à Vienne sont singulièrement plus réservées. Malgré les avis qu’il vient de recevoir de Londres, Bethmann-Hollweg ne demande nullement à l’Autriche de promettre l’intégrité du territoire serbe, il se borne à constater que le gouvernement austro-hongrois, en dépit de questions réitérées, a laissé l’Allemagne dans l’ignorance de ses intentions, que la situation devient embarrassante, et que, si l’Autriche persiste dans une intransigeance absolue, pendant que l’Allemagne est en butte, de la part des autres Puissances, à des propositions de conférence ou de médiation, l’Empire dualiste sera finalement exposé à porter, devant l’étranger et même devant l’Allemagne, la responsabilité du conflit. Dès lors, que conseille-t-il à l’Autriche ? Non pas de dire : « Le territoire serbe ne sera donné à personne », mais simplement de dire : « L’Autriche ne fera, quant à elle, aucune annexion définitive. Mais elle procédera à une occupation temporaire de Belgrade et d’autres points déterminés du territoire serbe, pour contraindre le gouvernement serbe à l’exécution complète de ses exigences. » L’Autriche avait montré à l’Europe, en 1908-1909, comment elle savait transformer en annexion une occupation autorisée par les Puissances. En acceptant la combinaison de Guillaume II, elle aurait donc eu pleine satisfaction. Mais il lui était aisé de comprendre que l’Allemagne n’avait aucune intention de la retenir et voulait seulement pouvoir dire à l’Angleterre qu’une démarche avait été faite. M. de Bethmann-Hollweg avait, en effet, pris soin d’adresser à Tschirschky cette recommandation : « Vous devrez éviter soigneusement de créer l’impression que nous désirions retenir l’Autriche. » Et le chancelier avait, mieux encore, précisé sa pensée maîtresse dans cette phrase révélatrice : Il est de toute nécessité que, si le conflit s’étend aux Puissances qui n’y sont pas directement intéressées, ce soit la Russie qui de toutes façons en porte la responsabilité. Voilà, mis par lui-même en pleine lumière, l’objectif du gouvernement impérial allemand. Le comte Berchtold comprend à demi-mot. Il gagne du temps, attend la soirée du 29 et finit par dire à Tschirschky qu’il est tout prêt à renouveler, au nom de l’Autriche, une déclaration de désintéressement territorial ; mais il