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COMMENT FUT DÉCLARÉE LA GUERRE DE 1914

ne parle point du partage de la Serbie et, en ce qui concerne les mesures militaires, il s’évade, en prétextant qu’il n’est pas en mesure de donner une réponse immédiate. La mollesse et la complaisance de la chancellerie allemande lui avaient rendu facile cette échappatoire. C’est pour couper court aux tentatives de médiation que le comte Berchtold a décidé de lancer dès le 28 juillet la déclaration de guerre à la Serbie.

Rien encore de tout cela ne parvient jusqu’aux antennes de la France. Le cuirassé accélère sa marche autant que le lui permettent ses machines. La nuit tombe. Le cœur partagé entre la joie de retrouver le sol natal et la vague appréhension d’un lendemain mystérieux, je passe une dernière nuit en mer, sans que le sommeil s’attarde plus de trois heures dans ma cabine amirale.


Mercredi 29 juillet. — À huit heures du matin, nous arrivons en rade de Dunkerque. Le temps de stopper, de jeter l’ancre, de préparer l’enlèvement des bagages, et nous débarquons. Une multitude innombrable venue de la ville et des environs — bourgeois, commerçants, ouvriers, dockers, hommes, femmes et enfants, — s’est précipitée sur les jetées et sur les quais. C’est vraiment la France qui nous attend et qui vient au-devant de nous. Je me sens pâle d’émotion et je fais effort pour ne pas laisser apparaître mon trouble. Les inquiétudes qui nous ont assaillis depuis quatre jours, cette foule a dû les éprouver au centuple. De loin, nous n’avons pas mesuré la profondeur du sentiment populaire. Nous n’avons pu lire un journal. Nous n’avons pas suivi les mouvements de l’âme française. Si je comprends bien le sens de ces acclamations, elles signifient : « Enfin, vous voilà. Pourquoi n’êtes-vous pas revenus plus vite, alors que l’Europe est dans l’anxiété et que la France peut se trouver bientôt en danger ? Nous ne vous retenons pas à Dunkerque. Retournez vite à votre poste. Nous vous faisons confiance pour tâcher d’éviter la guerre. Mais, si elle éclate, vous pouvez compter sur nous. »

J’échange quelques mots rapides avec M. Terquem, maire de Dunkerque, avec les sénateurs Trystram et Debierre, avec les députés Defossé et Cochin. Je les retrouve quelques minutes après, dans mon wagon, où je me suis empressé de monter. Tous me disent, et le préfet me confirme, qu’en cas de malheur le gouvernement est assuré du concours unanime du pays. Ce qui me frappe, c’est qu’ici beaucoup de personnes semblent croire la guerre imminente. Un de mes interlocuteurs, et non des moindres, auquel j’ai récemment rappelé son propos, va, un peu plus tard, jusqu’à me dire : « Nous en avons assez ! C’est toujours à recommencer ! Mieux vaut en finir une bonne fois. » Je le calme et lui