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Page:Poirier de Narçay - La Bossue.djvu/5

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Un moment, il songea à reprendre à la touffe de houx son couvre-chef. Il fit quelques pas vers la tache noire, puis, soudainement, saisit son fusil couché sur la bruyère blanche et disparut derrière le buisson. On n’entendit plus que la voix de la bourrasque qui passait à travers les hêtres, les sapins et les chênes.

Alors, à l’autre bout de la clairière, sur la nappe de neige apparut une ombre gigantesque dessinée par la lune dégagée pour quelques instants des nuages noirs qui l’entouraient de tous côtés — une clairière céleste dans une forêt d’encre.

L’ombre demeura un instant et disparut pour faire place à un cerf aux bois magnifiques, qui s’avança au petit trot, suivi de son harem constitué par une dizaine de biches sveltes, dont les oreilles dressées avaient, au moindre tressaillement des feuilles, de petits mouvements convulsifs. Tout à coup, le dix-cors aperçut le point noir du buisson. Il s’arrêta net et examina curieusement cette chose insolite en reniflant l’air par ses narines dilatées. Un coup de feu retentit : l’animal fit un bond prodigieux et retomba lourdement sur le sol, tandis que ses compagnes affolées fuyaient éperdues dans toutes les directions.

Et l’homme sortit de son buisson ; il admira sa victime :

— Hé ! vieux rusé, fit-il, j’avais ben raison de croire que Giraud, le gâs Giraud, comme disent les gardes, était plus fin que toi. C’est tout de même, ajouta-t-il, t’as failli me faire prendre un rhume de cerveau.

Puis, après avoir reconquis sa casquette qu’il enfonça solidement sur sa tête, il se pencha vers le cerf, dont la poitrine trouée lançait un flot de pourpre sur la neige, mit son fusil en bandoulière et fixa une corde aux bois du défunt, qu’il traîna pendant une centaine de mètres jusqu’à un fossé bordant la route, ou plutôt le ehemin vicinal qui gisait au fond de la gorge à travers laquelle les rafales continuaient à mugir.

— Bon, dit le braconnier en précipitant la bête dans le trou plein de neige où elle disparut presque entièrement, attends-moi là, et pour t’empêcher d’avoir froid, j’te vas donner une couverture.