Aller au contenu

Page:Poirier de Narçay - La Bossue.djvu/4

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ment, tandis que des nuages, courant une course folle, passaient sur la lune ronde. Et les bois chantaient une chanson grandiose, orchestre merveilleux où chaque bruit de la nature faisait sa partie.

Au milieu de ce fracas des choses, dans un sentier disparu sous la neige, un homme de haute taille, précédé par le canon d’un fusil qu’il portait sous son bras, marchait d’un pas assuré, comme s’il eût été sur une route savamment tracée par un géomètre gouvernemental, fervent admirateur de la ligne droite.

Bientôt il pénétra dans une clairière qu’il traversa pour s’abriter derrière un buisson de houx, près duquel il déposa son arme. Puis il se mit à souffler silencieusement dans ses doigts que le froid avait engourdis.

Cette besogne urgente terminée, il consulta sa montre, un vieil oignon dont les grosses aiguilles étaient visibles presque par toutes les nuits, claires ou noires.

Il parut joyeux et sembla se féliciter de son exactitude. Enfin, après avoir sondé avec ses yeux les taillis dans tous les sens, satisfait sans doute de son examen et poussé par cette singulière manie, qui excite l’homme à parler, même quand il est seul, il se paya un court monologue :

— Bon, c’est le moment où les gardes du marquis descendent au village pour entendre la messe de minuit. Nom d’un chien ! s’ils manquaient cette cérémonie, que dirait Mme la marquise ? C’est le moment aussi de conter deux mots à ce vieux cornard que je guette depuis un mois. Estelle sera contente. Seulement, il est rusé, le vieux cornard. Mais Giraud est aussi fin que lui.

Une rafale, qui bousculait les chênes d’un val proche, aux mille sinuosités, faillit le renverser. Mais l’homme était solide, et sa casquette fut seule victime de la brusquerie d’une tourmente du Nord. Elle tournoya un instant dans l’espace, puis se fixa au centre du buisson de houx couvert de neige sur laquelle elle fit une tache noire.

Giraud ne parut pas autrement ému de l’accident. Il en avait vu de rudes, comme il disait, depuis son enfance, et le vent du Nord pouvait caresser ses cheveux sans faire frissonner la peau du crâne.