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Page:Proudhon - La Guerre et la Paix, Tome 2, 1869.djvu/140

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inférieures aux supérieures, à celles même qui vivent dans l’opulence.

Chez le malheureux, le paupérisme se caractérise par la faim lente, dont a parlé Fourier, faim de tous les instants, de toute l’année, de toute la vie ; faim qui ne tue pas en un jour, mais qui se compose de toutes les privations et de tous les regrets ; qui sans cesse mine le corps, délabre l’esprit, démoralise la conscience, abâtardit les races, engendre toutes les maladies et tous les vices, l’ivrognerie entre autres et l’envie, le dégoût du travail et de l’épargne, la bassesse d’âme, l’indélicatesse de conscience, la grossièreté des mœurs, la paresse, la gueuserie, la prostitution et le vol. C’est cette faim lente qui entretient la haine sourde des classes travailleuses contre les classes aisées, qui dans les temps de révolutions se signale par des traits de férocité qui épouvantent pour longtemps les classes paisibles, qui suscite la tyrannie, et dans les temps ordinaires tient sans cesse le pouvoir sur le qui-vive.

Chez le parasite, l’effet est autre : ce n’est plus de la famine, c’est une voracité insatiable. Il est d’expérience que, plus l’improductif consomme, plus, par l’excitation de son appétit en même temps que par l’inertie de ses membres et de son cerveau, il demande à consommer. La fable d’Erésichthon, dans les Métamorphoses, est l’emblème de cette vérité. Ovide, à la place du mythologique Erésichthon, aurait pu citer les nobles romains de son temps, mangeant en un repas le revenu d’une province. A mesure que le riche cède à cette flamme de jouissance qui le consume, le paupérisme l’assaillit plus vivement, ce qui le rend à la fois prodigue, accapareur et avare. Et ce qui est vrai de la gourmandise, l’est de tous les genres de voluptés : elles deviennent plus exigeantes en s’assouvissant. Le luxe de table n’est qu’une fraction de la dépense de