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Page:Proudhon - La Guerre et la Paix, Tome 2, 1869.djvu/162

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déshonneur le métier de brigand et de corsaire. Preuve qu’au temps où écrivait Homère, les idées n’avaient pas changé. Partout la piraterie est en estime ; elle fait l’objet de vastes spéculations ; c’est pour elle que la navigation est inventée et que s’organisent les premières sociétés de commerce. Pendant longtemps même après que les cités ont fait la paix, la guerre se poursuit au nom et pour compte des particuliers : Solon, Hérodote, Plutarque, Salluste, César, les Rabbins, etc., en font mention. Les traités de paix entre États n’obligeaient pas les citoyens ; le pillage réciproque, à main armée, est considéré par tous les auteurs comme étant originairement de droit naturel. Cette coutume antique avait laissé des vestiges dans le droit romain ; elle a survécu au christianisme. C’est de là qu’est venue chez les modernes l’autorisation accordée aux particuliers d’armer en course, en se munissant de lettres de marque. On sait du reste combien, de nos jours encore, les brigands sont populaires dans les montagnes de la Grèce, de l’Espagne et de la Calabre.

Ce train de vie ne pouvait durer. La contradiction de deux cités en paix, tandis que leurs habitants se font la guerre, était trop violente. Puis, la noblesse terrienne et l’aristocratie mercantile, s’enrichissant, la première par le travail des esclaves et l’usure, la seconde par le trafic et l’agiotage, devaient faire tomber dans le mépris une industrie dont le nom seul attestait la misère. La police des États abolit donc la guerre privée ; l’orgueil des princes, qui ne voulaient pas paraître indigents, s’étudiant à déguiser sous des termes honorables la cause et le but des expéditions, le nom de brigand et de pirate devint peu à peu infâme. Cicéron flétrit de cette épithète injurieuse les peuples qui font la guerre dans le seul but du pillage, les villes et les rois ne devant s’armer, selon lui, que pour la justice. Belle leçon adressée aux nourrissons de la louve,