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Page:Proudhon - La Guerre et la Paix, Tome 2, 1869.djvu/204

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d’indépendance, guerre civile, guerre sociale. Sous toutes ces formes, la cause profonde de la guerre reste la même, mais c’est ce dont peuples et gouvernements s’inquiètent le moins. Difficulté de vivre, manque du nécessaire chez le pauvre, insuffisance du revenu chez le riche, augmentation des dettes et découvert du budget dans l’État, en un mot la faim. Le dieu des armées et le dieu de la misère sont un seul et même dieu ; c’est aussi peu honorable pour l’un que pour l’autre, mais c’est vrai[1].

L’empereur Aurélien disait du peuple romain que c’était le peuple le plus gentil, le plus jovial, le plus aisé à gouverner pourvu qu’il fût bien nourri, bien vêtu, bien diverti. Un jour, dans une émeute, il en fit massacrer huit mille par ses prétoriens. Depuis il s’abstint de mettre les pieds dans Rome. Le mot d’Aurélien résume toute la politique

  1. C’est aux prévisions de guerre universelle qu’il faut attribuer deux publications récemment sorties de plumes républicaines, l’une de M. Jean Reynaud, l’autre de M. Villiaumé, auteur d’une Histoire populaire de la Révolution.
      Je n’ai pas lu le premier de ces écrits : j’ai seulement entendu dire que l’auteur s’était proposé de faire connaître la vraie pensée de la Révolution française et des républicains français sur cette matière brûlante de la guerre et de la conquête. Il va sans dire que M. Jean Reynaud proteste contre la résurrection du militarisme.
      L’Esprit de la guerre, de M. Villiaumé, est conçu dans le même but. L’auteur a surtout en vue les moyens d’arriver à une paix définitive : ces moyens seraient tels, si l’on en croit l’honorable publiciste, qu’avec leur secours les neuf dixièmes des guerres pourraient être évités. Ou reste, M. Villiaumé a beaucoup moins songé à faire un livre de doctrine qu’un recueil de préceptes pratiques. Considérant que la mission du peuple français n’est pas finie, regardant la guerre comme inévitable et allant au plus pressé, il a réuni dans son livre tout ce que les auteurs qui ont traité de ces matières lui ont fourni de plus utile, et donné la plus grande place a ce qui concerne la politique militaire, la stratégie, la tactique et la guerre civile. J’espêre néanmoins que le peuple français n’aura pas besoin, autant que le suppose M. Villiaumé, de ses énergiques leçons. Les excitations à la guerre sont nombreuses : mais les résistances ne sont pas moindres. C’est en vue de fortifier celles-ci que j’ai entrepris mon travail : en quoi ma pensée ne diffère certainement pas de celle de M.M. J. Reynaud et Villiaumé.