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Page:Proudhon - La Guerre et la Paix, Tome 2, 1869.djvu/94

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tion des états, s’aperçoit bientôt qu’en moyenne, et à ne juger les événements que sur l’ensemble, ce qui est arrivé devait arriver, et qu’au total, la société étant donnée avec ses lois constitutives et évolutives, la guerre a fait justice.

De là l’enthousiasme guerrier, la poésie des batailles, la religion des armes, la foi à l’héroïsme, et cette expression prodigieuse, qui enlève les consciences et fait taire tous les scrupules, de droit de la guerre. De là encore cette haute juridiction des armées, reconnue par tous les peuples et devant laquelle toute volonté s’incline comme devant un oracle ; de là ce respect de traités qui viennent consacrer, pour l’un la défaite, pour l’autre la victoire, comme si défaite et victoire étaient un contrat, comme si les armées, en s’entr’égorgeant, ne faisaient que rendre et exécuter des jugements.

Voilà ce que dit la théorie, ce que croit le genre humain, et ce dont témoigne à son tour, dans ses résultats généraux, l’impartiale histoire.

Dans la pratique, surtout dans le détail, cette magnifique conception semble s’évanouir. Soit que la civilisation, qui nous semble si vieille, soit encore trop peu avancée et que la sauvagerie subsiste au fond de notre être, soit par toute autre cause, la guerre, suivie dans ses opérations, ne nous apparaît plus que comme l’extermination, par tous les moyens de violence et de ruse, des personnes et des choses, une chasse à l’homme perfectionnée et organisée en grand, une variété du cannibalisme et du sacrifice humain. La guerre pourrait se définir : Un état dans lequel les hommes, rendus à leur naturel bestial, recouvrent le droit de se faire tout le mal que la paix a pour but de leur interdire. Aussi le guerrier, démoralisé par les absurdes doctrines du juriste, ne croit-il plus lui-même à la justice guerrière, il la nie : Jura negat sibi nata, nihil non arrogat