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Page:Psichari - L'Appel des armes (1919).djvu/278

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Maurice était resté quelques heures dans l’atelier surchauffé et poussiéreux de M. Monestier. Dehors, il frissonna au froid aigu qui le piquait. La bise le fouetta au visage. Il se persuadait qu’il était heureux, et libre, et fort, devenu homme. Il avait, comme disent les marins, largué les amarres, et il ne lui restait plus qu’à errer joyeusement à travers le vaste monde.

En ce moment, nullement conscient de lui-même, il eût été incapable de toute analyse et de toute précision sentimentale. Son amour pour Claire était aussi vif que son désir de fuir vers des horizons neufs, sous un jeune soleil. Mais sa nature l’emportait vers des fins qu’il ignorait, vers une mystérieuse destinée.

Son cœur de vingt ans ne pouvait s’accommoder des larmes ni des soupirs. Et il courait allègrement par les rues, — au fond un peu las de la grande dépense de sentiment qu’il venait de faire chez sa fiancée. Il acheta une pipe confortable, un décapsuleur pour son fusil de chasse. Et il avait envie de chanter, à l’idée que dans quelques heures il fuirait, sur un blanc steamer, vers l’Atlantique.