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Page:Quevedo - Don Pablo de Segovie.djvu/197

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un peu se dissiper, autrement il ne s’amuse la plupart du temps qu’à faire la conversation. » – « Qu’il vienne, reprit-on, il fera ce qu’il voudra. » – « Ce sera toujours avec décence, dit Brandalagas. » – « C’est bien entendu, répondit le maître du logis. » Ainsi l’on ne douta pas de la vérité du fait, et le mensonge fut accrédité.

Mes acolytes vinrent me trouver. J’avais déjà mis un mouchoir autour de ma tête, et endossé un habit de bénédictin que je m’étais procuré dans une certaine occasion. Je chargeai mon nez d’une paire de lunettes et quoique j’eusse la barbe faite de près, cela ne gâtait rien. J’entrai d’un air fort humble, je m’assis, et le jeu commença. Trois de la compagnie se présentèrent, dans l’espérance que le jeu serait pour moi celui du mécontent ; mais il le fut pour eux-mêmes, car, comme j’en savais plus qu’eux, je les volai si adroitement, qu’en trois heures je leur enlevai plus de treize cents réaux. Je les tins quittes à bon marché et, après avoir lâché un Dieu soit loué, je pris congé de la compagnie, en priant tous les assistants de n’être point scandalisés de me voir jouer, parce que ce n’était de ma part, à proprement parler, qu’un pur délassement. Ceux qui avaient perdu tout ce qu’ils avaient se donnaient à tous les diables ; mais je leur dis adieu, et nous sortîmes, mes deux camarades et moi. Nous rentrâmes à la maison à une heure et demie du matin, et nous nous couchâmes après avoir partagé la récolte.

Au moyen de cette bonne fortune je me consolai