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Page:Quevedo - Don Pablo de Segovie.djvu/198

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un peu de ce qui m’était arrivé la veille. Dès que je fus réveillé et levé, je courus chercher mon cheval, mais je n’en trouvai point à louer ; d’où j’inférai qu’il y avait bien d’autres gens qui faisaient comme moi. Cependant aller à pied me paraissait mal, surtout dans le cas où j’étais. Ayant donc été du côté de San Felipe, je rencontrai le laquais d’un avocat, tenant par la bride et gardant le cheval de son maître qui venait de mettre pied à terre et d’entrer à l’église pour entendre la messe. Je lui mis dans la main quatre réaux, pour qu’il me laissât faire sur le cheval, pendant que son maître était à l’église, deux tours dans la rue de l’Arénal, qui était celle de ma chère Nanette. Il y consentit. Je montai sur le cheval, et j’allai et revins deux fois le long de la rue, sans rien voir. À la troisième, Dona Ana parut. Je ne l’eus pas plus tôt aperçue que je voulus faire l’agréable. Je donnai à l’instant deux coups de houssine au cheval et je lui tirai la bride. Mais comme j’étais un mauvais écuyer, et que j’ignorais d’ailleurs ses manies, il se cabra, lâcha deux ruades, se mit à courir de toutes ses forces, m’emporta et me jeta dans une mare d’eau. Furieux de me voir ainsi accommodé sous les yeux de ma prétendue et entouré d’enfants qui s’étaient rassemblés là, je me mis à dire : « Ô fils de putain ! N’es-tu pas un Valencien ? Mes imprudences me causeront la mort. Pourquoi ne m’avait-on pas prévenu de ses manies ? ou plutôt pourquoi fus-je assez sot pour me hasarder sur une monture que je ne connais pas ? »