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Page:Régnier - L’Amphisbène, 1912.djvu/111

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aperçue comme moi de la transformation d’Antoine. Elle a constaté l’aversion qu’il manifeste pour les personnes et les choses de son existence d’hier. À ce qui le passionnait le plus, il y a trois mois, il est, à présent, complètement indifférent. Il n’ouvre même plus les lettres qui lui parviennent de ses amis de sport et de fête et n’a voulu recevoir aucun d’eux. Sur ce point, la consigne est inflexible. L’idée de revoir des visages connus lui est insupportable. Il entre dans cet éloignement un sentiment de vanité. Il ne veut pas de témoins à sa déchéance corporelle. Il vit comme un reclus. Au fond, il est honteux d’être malade. Il a l’impression d’avoir été « tombé ».


21 février. — Je vais presque chaque jour chez Antoine Hurtin. Il paraît me voir avec plaisir. Nous causons souvent de nos souvenirs de collège. Lui qui, jadis, abondait en histoires de femmes, il n’en parle jamais maintenant. Il ne raconte plus aucune de ces anecdotes cyniques et crues qui, jadis, le délectaient et qui désolaient Mme Bruvannes. Pauvre Mme Bruvannes, elle voudrait bien faire quelque chose pour distraire Antoine, mais elle ne trouve rien. Aussi est-elle pour moi pleine de reconnaissance parce que Antoine semble se plaire en ma compagnie. Excellente Mme Bruvannes, elle me fait pitié ! Elle erre comme une âme en peine dans son hôtel. Elle a renoncé à son occupation