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Page:Régnier - La Canne de jaspe, 1897.djvu/199

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« Je ne te raconterai pas ma vie, mon fils : tu l’as apprise sans doute par la rumeur où en reste encore la mémoire de ceux qui me l’ont vu vivre. Ils sont rares déjà, car me voici vieux.

Les histoires en décriront les parties ; certains en noteront curieusement les particularités ; quelques trophées en attesteront peut-être la gloire à l’avenir. Le soc de la charrue en retournant la glèbe y remuera des médailles où mon profil survivra entre deux dates mémorables. Un laurier croîtra sur mon tombeau ; l’épitaphe rappellera mes actions ; quelques-unes furent grandes, dit-on. Ce renom fait partie de l’héritage que je te lègue : tu en bénéficieras s’il te vient jamais le goût de te répandre parmi les hommes et de te mêler de leurs Destinées. Que ne puis-je aussi te léguer la sagesse : écoute au moins la vérité particulière que j’ai tirée de l’expérience d’une longue vie. J’ignore ce que sera la tienne et si tu prendras part aux jeux du siècle. Ton humeur t’y prédispose peu : il faut des désirs que tu n’auras point, et ce château où s’est passée ma vieillesse sera, je le sens, le séjour de ta maturité. Ils y voient à la cour le boudoir monumental de quelqu’un qui y a retiré avec