Aller au contenu

Page:Régnier - La Canne de jaspe, 1897.djvu/200

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

soi le regret et l’orgueil, quand ce n’est que le lieu naturel où un homme se souvient qu’il a vécu.

Ah ! laisse vivre au sens où ils entendent cela ; contente-toi d’être ; mais avant, ô mon fils, que tu prennes possession de cette demeure, il faut que tu saches sur quelles pensées au moins se sera refermé mon sépulcre.

Sois en paix, mon fils, ne crains pas que jamais mon ombre repasse ce seuil. Je ne viendrai pas soupeser aux panoplies l’épée que jadis je portais dans les batailles, ni compulser parmi la poussière des archives les titres de ma gloire, ni recompter l’or dont les caves sont pleines, ni accomplir spectralement les simulacres de fantômes que furent les actions de la vie. Je serai un mort tranquille, mort tout entier, et nul regret de ce que j’ai été ne fera tressaillir ma cendre ; pourtant il y aurait eu dans mon passé matière à créer une ombre orgueilleuse et obstinée.

J’ai fait la guerre ; les clairons d’or m’ont précédé et tous les vents, tour à tour, ont secoué les plis de mes drapeaux. De grandes armées franchirent des montagnes, traversèrent des fleuves ;