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Page:Régnier - La Canne de jaspe, 1897.djvu/291

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qu’il dépouillait ou qu’il vainquit. A qui frauda, fourbe, il dénatura les poids de la balance faussée. Il s’employa à ce que la vie exige de tout homme, à ce qui s’appelle vivre, et les narrateurs de ses actes disent, après en avoir énuméré l’époque et la somme, qu’il mourut ensuite de langueur pour avoir, par une nuit froide, dans les montagnes où il conduisait ses soldats, couché en plein air dans la neige...

O mon frère des vieux âges et de toujours, c’est cette nuit de la vie que je resonge à jamais, cette nuit où tu fus celui qui a dormi dans la neige. C’est alors que tu compris le sens de ton passé, l’ignominie de tes désirs et l’opprobre de tes tristes jours.

Tu as le visage de quelqu’un qui s’est vu en face de soi. La pure et froide et chaste neige te donna la leçon régénératrice de sa blancheur. Elle s’infiltra aux jointures d’acier de ton orgueil ; elle larmoya au visage de fer de ton arrogance ; elle ensevelit en toi sous son linceul l’amas fruste et rocailleux de tes fautes comme elle nivelait autour de toi de sa lente tombée les gerçures faciales des vieilles pierres, les pointes piquantes des herbes stériles.